Polymathe bienveillant, créateur infatigable, curieux de tout et surtout du futur, il vit à cent à l’heure. Mais il prend le temps de nous recevoir chez lui, entre collaborations hautes en couleur et expositions à succès au Centre Pompidou et au Mobilier National.
Propos recueillis par Elodie Declerck / Photo d’ouverture : Fe Pinheiro
Votre intérieur ressemble à une toile blanche pour peintre. C’est étonnant venant de vous qui êtes un chantre de la couleur…
Mes murs sont blancs, mais recouverts d’œuvres colorées. Je ne peux pas non plus m’enivrer de couleur dans mon quotidien ! La couleur, c’est une ponctuation, un rythme. Ces murs blancs, je les habille de choses toujours picturales, de mes drapeaux signatures, d’un tourniquet, ramassé dans la rue, où je mets des cartes postales, d’une bibliothèque Memphis créée par mon ami Ettore Sottsass… L’endroit où je vis est comme la scène d’un théâtre. Certes, il y a un ordre précis de par la fonction des choses, il faut bien des endroits où s’asseoir, où diner, travailler, converser, mais rien n’est immobile ici dans mon appartement parisien. Tout est beaucoup plus figé et immuable au manoir de Loubersan, ma demeure de famille dans le Gers.
Pourquoi une telle dichotomie entre vos deux lieux de résidence ?
Parce que c’est la 25e fois que je déménage. Finalement c’est un peu comme si j’étais en tournée permanente… dans Paris ! Je recherche avant tout la hauteur sous plafond. C’est vital, il me faut au moins 4 ou 5 mètres, ce qui est peu commun dans la capitale. Mon rêve serait de trouver un grand appartement du XVIIIe siècle, à l’étage noble.
Il vous reste donc encore des rêves à accomplir ?
Je suis « workaholic », toujours dans la fulgurance. Aujourd’hui, à 72 ans, j’ai l’impression que tout est possible. Je peux dessiner librement, c’est mon métier, on me confie des bâtiments extraordinaires comme Pompidou ou le Mobilier national, on attend que j’y mette ma fantaisie, ma créativité, mon humour… et ça c’est cool ! En fait, moi qui n’ai pas eu d’enfance puisque je suis allé en pension très jeune, je vis aujourd’hui les plus beaux moments de ma vie. Cela se ressent dans mon travail… et dans mon rôle sociétal. Parce qu’à partir du moment où je suis habité de cette sérénité, je peux transmettre, partager, participer à la révélation du talent des autres.
C’est la raison pour laquelle vous êtes aujourd’hui un ambassadeur pluridisciplinaire décomplexé ? Vous soutenez par exemple la candidature de Clermont-Ferrand en tant que Capitale européenne de la culture…
Quand Patrice Chazottes (auparavant directeur du Centre Pompidou et désormais de « Clermont 2028 », ndlr) m’a appelé, j’ai accepté car je suis un enfant adoptif du Centre de la France. C’est vraiment un endroit isolé, presque insulaire, qui mérite cet élan, notamment pour la jeunesse. Moi qui ai eu la chance d’être à l’origine de l’union de l’art et de la mode, j’ai désormais cette force qui réside dans le fait de créer des ponts entre l’art et la culture, entre l’ancien et le moderne. Je peux parler d’histoire, comme de l’électro la plus pointue. Je m’associe aujourd’hui à des jeunes, comme le compositeur Julien Granel ou l’artiste électro Chloé Thévenin. C’est très important, cette alliance entre la nuit des temps et les temps futurs.
Vous vivez parfaitement dans votre temps justement : vous êtes actif sur les réseaux sociaux, vous collaborez avec des marques très en vogue (Benetton, Sézane, Armor-lux…)
Parce que ce temps est exaltant ! Il me fait penser à la liberté des années 70, mais avec l’omniprésence du digital en plus, et une génération qui a la création comme souffle de survie. À mon époque, être artiste était un combat, surtout dans ma famille conservatrice. Aujourd’hui, tout est tellement fluide, virtuel et en plus on nous propose maintenant le métaverse… C’est vraiment un moment très intéressant ! Inspirant et inspiré. D’autant plus que je dois apprendre. C’est cela qui m’intéresse, de même que d’explorer ce territoire entre l’art et le divertissement. Car le rôle de l’art, c’est de rassembler. Et c’est ce que je constate à l’exposition de Pompidou.
Que transmettez-vous d’ailleurs à ce « Peuple de demain » ?
Un chemin initiatique. Ce sont 8 ateliers autour de la création d’un langage universel, de signes, de couleurs, de sons, où l’on évoque le culte, mais sans parler de confession. J’ai dessiné 25 drapeaux avec une vision presque hiératique, et créé trois totems (« tot’aime ») qui sont une ode à la nature, à l’espace et à la ville. On parle de paix, de métaverse, des grands sujets d’aujourd’hui aux enfants… mais pas que. Ce qui me touche, c’est de voir que les parents les accompagnent dans la création. C’est devenu un phénomène fédérateur.
Parallèlement à ces scénographies, vous restez prolifique dans le domaine de la décoration et du mobilier, que vous connaissez très bien…
Oui car j’ai travaillé durant plus de 14 ans avec Ligne Roset. Chez moi, il y a encore quelques-unes de mes créations : mon canapé, mon tapis. Et puis il y a de belles collaborations qui arrivent, dont celle avec une maison que j’aime beaucoup, Leblon-Delienne, avec qui nous allons décliner mes « Anges » et détourner les personnages de Snoopy et Mickey Mouse. Mais je ne peux pas tout vous révéler pour l’instant… Je sélectionne en tout cas soigneusement chaque projet et ma décision part de la force de celui-ci. Contrairement à quand j’ai commencé dans les années 70, je mets aujourd’hui autant d’énergie dans le marketing que dans la création pure.
Votre notion du beau, on la retrouve dans votre appartement ?
Le beau, c’est ce qui m’inspire ; il peut être laid pour quelqu’un d’autre. Le beau, c’est ce qui me questionne, bien souvent sans réponse. Le beau, c’est le trouble. Merci de m’avoir aidé à le définir en me posant cette question. À la maison, on peut dire que c’est un bric-à-brac émotionnel. Il y a des archives pour lesquelles j’ai une grande tendresse, comme ce dessin signé de l’illustrateur Laurent de Brunhoff qui représente Babar à l’un de mes défilés, ou celui de Charles Schulz, le créateur de Snoopy, qui me dit de ne jamais voyager. Je tiens aussi particulièrement à une paire de fauteuils XVIIIe qui appartiennent à mon épouse Pauline et à la petite chaise en bois de ma fille Eugénie dessinée par mon ami Keith Haring. J’aime les choses qui ne viennent pas de moi…
LA PIÈCE DONT JE NE ME SÉPARERAI JAMAIS
« Je ne suis pas fétichiste. Certes, je suis attaché à mes drapeaux, à mes dessins… Si je devais cependant garder une chose, ce serait peut-être cette petite boîte rouillée, affreuse avec ses ananas dessus, sans doute la boîte la plus moche qui soit… mais qui contient des fragments de mon enfance : les soldats avec lesquels j’ai joué quand j’avais 8-10 ans. Ils sont tous très mal en point, estropiés… C’est la guerre, à l’image de ce qui nous arrive en ce moment en Europe. Et à la fois, je me dis que parfois, il faut peut-être lâcher prise sur son passé. Personnellement je suis devenu, grâce à cette expo au Centre Pompidou, l’architecte de mon enfance retrouvée. »