Texte Aurélien Jeauneau / Photo Valentina Sommariva
Une chaise architecture
« La maison idéale est celle où il n’existe aucune contrainte », professait Gio Ponti. Son agence d’architecture est davantage un laboratoire des savoirs qu’un bureau d’étude ! Les préceptes appris à l’école polytechnique de Milan sont mis à contribution pour l’élaboration de tous les projets, qu’il met en avant dans Domus, la revue qu’il crée en 1928. Si l’entre-deux-guerres est une période faste pour l’ornement, le précieux et l’opulence, les années 1950 sont dédiées aux innovations. Le monde change, l’industrie se modernise et les questions techniques sont au cœur des investigations artistiques. Gio Ponti, alors architecte décorateur de paquebots de plaisance, réfléchit à une chaise légère qui n’alourdirait pas le bateau. Le tube métallique creux est d’abord développé en 1955 avec Cassina, mais sa recherche le pousse à concevoir une chaise en bois, celle qui entrera au catalogue de 1957 : la « Superleggera ». La construction de la chaise met en pratique les points de tension évoqués en architecture, pour rendre solide une chaise gracile de 1,7 kg. La garniture d’assise est en tressage fin et les sections triangulaires en frêne, un bois léger mais dur, offrent la même résistance que si elles possédaient quatre côtés tout en permettant une économie de matière. Car, pour convaincre les sceptiques de la robustesse de la chaise, la légende raconte qu’il en a jeté un prototype des étages de l’usine Cassina. Cette beauté technique donne à l’ensemble une ligne moderne et singulière. Avec la Superleggera, la fonction donne naissance à la forme.
Il est des designers qui ont façonné leur époque. Si la France compte dans ses talents modernistes l’architecte Le Corbusier, Charlotte Perriand ou Pierre Paulin, le maître incontesté du design italien s’appelle Gio Ponti. Né en 1891 à Milan, il est diplômé d’architecture en 1921 et travaillera jusqu’à sa mort, en 1979. Tout à la fois peintre, architecte, designer et théoricien, ce génie prolifique dessine une chaise en 1957, qui sera de loin sa plus belle réalisation. La Superleggera, icône de la seconde main, mais pas seulement : elle est au catalogue de la marque italienne Cassina depuis plus d’un demi-siècle.
La Superleggera aux puces
L’assise italienne la plus connue du XXe siècle vit sa deuxième jeunesse en seconde main. Son élégance sobre convient aux grandes tablées en série ou solitaire devant un bureau. Mais attention : sa légèreté légendaire, au fil du temps, a pu rendre la chaise fragile. Il faut l’essayer, et discuter avec son marchand, qui l’aura très certainement fait réviser. Les marques du temps sur la laque noire sont souvent très belles, et les modèles en bois naturel ont acquis un ton chaud du plus bel effet. Et pour ceux que les patines et le vécu des objets n’émeuvent pas, Cassina, producteur historique, l’édite encore, et dans de nombreuses couleurs, qui rappellent les façades côtières de vos étés. Un petit air d’ailleurs dans la salle à manger !
Le prix en seconde main
Il faut compter 800 € pour une chaise seule qui nécessite une restauration et 1 500 € pour un modèle parfaitement restauré. En série d’origine, les prix s’envolent… Il faut compter 2 172 € pour une réédition de Cassina.
Aurelien Jeauneau
Coauteur de la monographie consacrée au designer français Pierre Guariche, Aurélien Jeauneau est historien de l’art et spécialiste du design du XXe siècle. Galeriste et éditeur, il défend, avec son associé Jeremy Pradier, la création hexagonale de 1900 à nos jours.
Article paru dans le numéro 175 de Résidences Décoration.