Cette demeure à la fois onirique et organique semble extraite d’un film de science-fiction. Elle est pourtant bien réelle et son histoire est celle de créateurs inspirés.
Texte Anne-Louise Sevaux / Photo de couverture Cloe Harent
L’industriel rêvait d’une maison hors normes, l’architecte a créé le Palais Bulles. Cette demeure emblématique, située à Théoule-sur-Mer, près de Cannes, est née d’un projet audacieux : construire une maison unique, hors du temps et de l’espace, suspendue entre ciel et mer, en parfaite harmonie avec la nature. L’industriel automobile, c’est Pierre Bernard. Et l’architecte visionnaire, c’est Antti Lovag. Qui d’autre pour réaliser une telle prouesse ?
Né en Hongrie en 1920, Antti Lovag, qui se présentait lui-même comme un « habitologue », prônait une architecture libérée des contraintes. Fasciné par les courbes et les formes organiques, il voyait la maison comme un espace de liberté, loin des angles et des lignes droites. Avec le Palais Bulles, construit entre 1977 et 1984, il concrétise cette philosophie en repoussant les limites de l’architecture traditionnelle. « Pas d’arêtes », c’est ce qu’il disait sans cesse. C’est si simple et pourtant si complexe. Alors Lovag supprime : plus de murs, plus de portes. Et il réinvente : une maison de 400 m² sans fondations, ni toit, construite à partir de matériaux souples et modulables, qu’il estime plus adaptés à l’humain et à son environnement. Le résultat est un lieu ouvert, tourné vers la nature et les autres, propice aux échanges et à la créativité. Sous ses plafonds transparents, on observe les étoiles, et partout on admire et on respire la Méditerranée, hôte de marque de cette villa de luxe.
Pierre Bernard, commanditaire de la maison, n’en profite que quelques mois avant de décéder en 1989. Trois ans plus tard, Pierre Cardin en fait l’acquisition. Cette villa était taillée pour le couturier (à moins que ça ne soit l’inverse), lui qui a toujours mis à l’honneur dans ses vêtements le rond, la sphère et les bulles. On lui doit notamment la célèbre « robe bulle », ou le « style cosmique » inspiré par la conquête spatiale. Il confie d’ailleurs : « Depuis le début de ma carrière, le rond est une constante dans toutes mes créations. La vision d’Antti Lovag correspond à l’architecture que j’aurais voulu concevoir. » Comment imaginer le couturier ailleurs qu’ici, dans ce qui deviendra « son » Palais ? C’était une évidence, ils étaient faits pour se rencontrer.

Respectueux de la vision de Lovag et fidèle au souhait de l’industriel, Pierre Cardin poursuit l’œuvre en l’ouvrant aux artistes. Dès son arrivée, il entreprend des travaux d’agrandissement : nouvelles suites, salles de réception et plus tard, un amphithéâtre. Aujourd’hui, la villa s’étend sur 1 200 m², avec un jardin – La Palmeraie – de 8 500 m². Pierre Cardin a fait de son lieu sa résidence, mais aussi et surtout, la continuité de ses créations artistiques. Il transforme le Palais Bulles en un espace d’exposition d’art contemporain, un lieu de réception, de rencontres et de création. Sous son aile, le bâtiment devient une œuvre totale, vivante et avant-gardiste, classée Monument historique en 1998.
Depuis la mort du couturier en décembre 2020, le Palais Bulles a perdu son maître mais pas son âme : il ne se visite pas mais peut être privatisé pour des événements, comme dernièrementpour le concert privé du groupe d’électro français L’Impératrice.
Source : « Le Palais Bulles de Pierre Cardin », de Louis-Philippe Breydel et Jean-Pascal Hesse chez Assouline.
Article paru dans le numéro 179 de Résidences Décoration.