Rêver d’une villa sur la côte italienne pour tomber amoureux d’une finca en pleine campagne figée sur un promontoire dominant le paysage enchanté d’Ibiza. Et au fil des mois y projeter sa vie, ses envies.
Texte Anne-Marie Cattelain Le Dû / Photos Birgitta Wolfgang Bjørnvad / Sisters agency
Dix ans à sillonner les côtes italiennes puis la campagne de la Toscane aux Pouilles, du Chianti à la côte amalfitaine, à la recherche de la maison idéale pour passer des vacances en famille. Dix ans de quête vaine pour Daniela et son mari. « Nous avions tellement fantasmé, tellement imaginé cet endroit, ce refuge, que nous trouvions toujours un défaut rédhibitoire aux biens visités nous empêchant de passer à l’acte d’achat. Reconnaissons que nous tentions de concilier l’inconciliable, la douceur italienne avec le côté sauvage, brut de l’Afrique du Sud, notre patrie d’adoption, de cœur. Nous étions presque déterminés à jeter notre dévolu sur la région du Cap, même si lorsqu’on vit en Europe, ce n’est pas évident d’y aller fréquemment. »
« Sur une île, réaliser des travaux, trouver des artisans, des matériaux, n’est jamais simple. Tout ne peut être parfait, il faut apprendre à lâcher prise parfois.
C’est une belle leçon de vie. »
Un jour, une amie du couple lui suggère de regarder du côté d’Ibiza. L’idée n’enthousiasme guère Daniela, peu enchantée d’un premier séjour. Par dépit, elle y entraîne néanmoins son mari qui, ne connaissant pas les lieux, n’a aucun a priori. Ils débarquent à « Eivissa » un jour de pluie. Déprimant. Cependant, un petit quelque chose d’indicible les interpelle. Ils décident donc d’y retourner quelque temps plus tard avec Lars Bruun, un agent immobilier danois. L’homme de terrain comprend vite leur quête et leur révèle un tout autre aspect de l’île, celui des fincas restées dans leur jus, d’une campagne, de villages non chahutés par la déferlante touristique. En trois jours, ils trouvent la perle rare, celle qu’ils traquent depuis des années, qui les hante. Au bout du bout d’une route bordée de grands pins, une ancienne finca perchée sur une colline les foudroie littéralement. La bâtisse s’inscrit sans heurts dans le paysage. Et, par temps dégagé, en gagnant le point culminant de la propriété, les côtes espagnoles de la grande terre, s’esquissent à l’horizon. « L’aboutissement de notre long jeu de piste. La récompense de notre ténacité », confie Daniela. Construite par un riche agriculteur en 1727, la finca se distincte de ses voisines par ses proportions élégantes, ses quatre voûtes extérieures qui lui donnent une assise, sa hauteur sous plafond et la superficie de ses pièces à vivre, salon et living. « Extérieurement, elle ressemble à une place forte, indestructible, trapue mais gracieuse, avec une énorme poutre pouvant, en cas d’attaque, obturer la porte principale, et, au premier étage, un trou percé dans le mur pour y glisser un fusil. À l’intérieur, le dernier propriétaire avait commis quelques dégâts, mais rien d’irréversible. Il suffisait de retirer le Formica, les papiers peints qui ringardisaient l’ensemble. Mais il avait conservé l’essentiel, dont toutes les grosses poutres en bois patinées accusant sans sourciller leurs trois siècles. »
Daniela, conquise par les volumes, rompue au design, à la chine, à la décoration, décide de s’investir au maximum dans la rénovation de sa demeure en s’entourant néanmoins de professionnels. Elle jette son dévolu sur les deux fils de Rolf Blakstad, premier architecte à avoir restauré des fincas à Ibiza dans les années 1960. Rolf, designer, et Nial, entrepreneur, ont repris l’atelier de leur père avec la même envie de valoriser l’habitat traditionnel. Daniela les convainc de l’accompagner, la conseiller et de jouer la partition ensemble. « Nous avons travaillé comme les trois mousquetaires, main dans la main, même si parfois, hélas, je n’étais pas assez disponible pour suivre le chantier puis l’aménagement intérieur », reconnaît la maîtresse des lieux. Néanmoins, tous les matériaux ont été choisis à l’unanimité, du grès Santanyi crème pour les sols, que Daniela avait repéré dans la maison majorquine de l’architecte danois Jørn Utzon, au revêtement en microciment sable de la piscine qui donne à l’eau une teinte turquoise lumineuse et naturelle. L’intérieur de la finca amalgame les coups de cœur de ses nouveaux occupants, pièces de design italien, d’art africain, mobilier rustique, campagnard.
« J’ai compris a posteriori pourquoi lors de notre premier séjour sous la pluie nous avions été troublés. C’est parce qu’Ibiza nous rappelle l’Afrique du Sud, dont nous sommes tombés amoureux il y a de nombreuses années. Les couchers de soleil, en dégradé d’oranges virant au rouge, sont aussi somptueux, incroyables, ici qu’au Cap. La végétation, hormis les vignes, est presque la même. Pour que l’illusion soit plus que parfaite, j’ai planté devant notre entrée principale des lys bleus, qui fleurissent en abondance dans la région du Cap. Et j’ai aussi acheté, là-bas, de nombreux objets et des d’œuvres d’art pour importer un échantillon de la beauté de l’Afrique du Sud. » Et puis, pour garder l’immense terrain sans alourdir leur budget et conserver son caractère agricole à la finca, ne pas trahir ses racines ancestrales, Daniela et son mari ont embauché un couple pour s’occuper des cultures, du potager, du verger, du poulailler et des oliviers. « Outre la petite source de revenus et le plaisir d’employer des locaux, le travail est rare ici, quelle satisfaction de cuisiner ses légumes, croquer ses fruits et le matin de se régaler d’œufs juste pondus. Un privilège qui nous attache plus encore à Ibiza, à notre finca. »
Conserver l’esprit des lieux. Pas d’éléments rajoutés, juste des niches de rangement en ciment brut, des murs blanchis, du bois. Et, pour unique décor, la vue encadrée comme un tableau vivant.
Une maison de famille, une maison autant pour Chiara, 23 ans, que pour ses parents. Une maison, pour adopter, le temps des vacances, le rythme insulaire dans un cadre ou tout concourt à la sérénité.
Daniela et sa famille : une grande aventure
« Ce fut une immense satisfaction et une grande aventure d’être impliquée à 100 %, auprès des frères Blakstad dans ce projet, de ne plus rêver notre maison mais de la créer peu à peu, d’oser s’exprimer, de faire fi des tendances et des diktats. C’était un chemin semé d’embûches, d’erreurs, mais valorisant. Mon refuge ou plutôt notre refuge nous ressemble. Nous y avons projeté tout ce que nous aimons. C’est tout à la fois un peu d’Italie, un peu de campagne majorquine et un peu d’Afrique du Sud. La décoration, les objets,
les couleurs se marient, se mélangent, naturellement. C’est l’une des caractéristiques des îles, le métissage des hommes et des cultures. Nous l’avons fait nôtre. »
Article paru dans le numéro 176 de Résidences Décoration.