Trois semaines pour restaurer 160 m2 à Saint-Germain-des-Prés avant que les JO n’entraînent l’interdiction des livraisons et des stationnements. Un sprint remporté sur le fil par Lichelle Silvestry.
Par Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Benoît Linero
«Contactée en avril dernier par des Américains de la côte ouest qui devaient emménager, avec leurs deux jeunes enfants, au début de l’été à Paris, dans une des rues les plus prisées de Saint-Germain-des-Prés, j’ai accepté, avec enthousiasme, le chantier de remise en état de leur appartement », raconte Lichelle. Elle n’imaginait pas du tout, du tout, qu’elle s’embarquait dans une aventure s’apparentant à un marathon… couru au rythme d’un sprint. « Ayant eu mes coordonnées par des compatriotes dont j’avais décoré l’hôtel particulier, monsieur m’a appelée pour m’expliquer qu’ils étaient en train d’acquérir un bien dans le 6e arrondissement et qu’ils souhaitaient m’en confier la rénovation. Avec, comme impératif, une réception de chantier au plus tard le 14 juillet. Pour moi c’était jouable. Hélas, l’acte de vente n’a finalement été signé qu’en juin… »


En un temps record, s’approprier les lieux à distance pour imaginer les formes, les couleurs, les matières qui s’harmoniseront. Une question de goût… et d’organisation.

La décoratrice a pu s’appuyer sur la rénovation réussie de l’ancien propriétaire. Les peintures ont été rafaîchies et le mobilier a été retapissé avec de jolis tissus.

Au préalable, la designer-décoratrice d’intérieur avait reçu des photos, des plans, apprécié l’état général, l’esthétique et échangé de multiples fois avec ses clients. Elle savait que l’appartement, le plus beau de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle scindé en plusieurs lots, était plutôt en bon état. Elle avait aussi sondé les souhaits, les goûts et le mode de vie de ses futurs habitants. « J’ai donc anticipé, préparé mon plan de bataille, repéré des matériaux, des tissus, des objets susceptibles de s’intégrer dans ces 160 m2. En pénétrant dans les lieux pour la première fois, j’avais déjà toutes mes idées en tête. Seul hic, je n’avais pas prévu les interdictions de circuler et de stationner dans la zone, à cause des Jeux olympiques, dès le début de juillet. Je ne disposais donc réellement que de trois semaines. » Boostée par l’espace, la hauteur sous plafond, la disposition des pièces, Lichelle mobilise ses équipes, ses prestataires, part en expédition au marché Paul-Bert-Serpette, les puces de Saint-Ouen, où elle a ses marques, ses stands préférés, ses amis marchands. Et elle décide de s’appuyer sur l’existant, de « recycler » certains équipements, dans les salles de bains notamment.
Le point de Hongrie du parquet en chêne est sublimé par le lustre tout en légèreté, le mobilier bleu roi et blanc pur et la crédence rappelant le motif du sol, faisant oublier l’étroitesse de la pièce.

Personnaliser au maximum les trois chambres en jouant sur les tissus, les papiers peints, les meubles vintage, les couleurs dans une palette en dégradés de bleus et verts.


« Pour personnaliser les pièces, après les avoir repeintes, j’ai retapissé quasiment tous les sièges glanés de-ci de-là avec des tissus aux couleurs vives des maisons Pierre Frey et Dedar puisés dans leurs collections outdoor pour qu’ils résistent aux assauts des enfants et se patinent joliment. Et j’ai, une à une, placé mes pépites. Ainsi, j’ai organisé le living-room autour de l’étonnant tableau florentin du XVIIIe siècle représentant Adam et Eve croquant le fruit défendu, ajoutant, avec un rien de provocation et d’humour, une paire de tables artisanales vénitiennes en forme de serpent et une pomme en marbre du XVIIIe siècle. J’ai accroché, au-dessus de la classique cheminée en marbre, un miroir français milieu XIXe orné de motifs végétaux et, au plafond, un lustre des années 1940 trouvé chez Lila K Antiques, l’un des antiquaires vedettes de Paul-Bert. Et pour la note contemporaine, j’ai recouvert d’un velours bleu-gris de Pierre Frey un canapé désigné dans mes ateliers. »



Dans les trois chambres, toutes dotées de leur propre salle de bains, Lichelle a paré aussi au plus pressé, se concentrant sur des têtes de lit originales, dessinées sur mesure, mêlant tissu panoramique ou uni et peinture, et sur les rideaux, eux aussi exclusifs, confectionnés par Créations Mourra dans de luxueuses étoffes de la maison Casamance. « Ma plus belle récompense, les sourires et les yeux écarquillés de mes clients lorsqu’ils parcouraient pour la première fois leur appartement refait. Et leur mot accompagné de fleurs, reçu le lendemain de leur première nuit chez eux : “Bravo Lichelle, vous avez créé un home à notre image. Nous vivons un rêve merveilleux et penserons à vous en assistant à la cérémonie d’ouverture des JO. Vous êtes une championne.” »
Lichelle Silvestry, une Américaine à Paris

Il y a plus de dix ans, designer, décoratrice, Lichelle ouvre son studio Lichelle Silvestry Interiors, dans le 16e arrondissement, en priorité pour répondre aux nombreuses demandes des anglophones, ses compatriotes en tête. Sa spécialité : la rénovation de biens immobiliers prestigieux dans la capitale grâce à un réseau tout à la fois d’artisans, de prestataires et de fournisseurs. Sur son carnet d’adresses s’alignent les antiquaires et brocanteurs du marché Paul-Bert, à Saint-Ouen, mais aussi les grandes enseignes de déco parisiennes, avec un faible assumé pour Pierre Frey.
Article paru dans le numéro 179 de Résidences Décoration.