A quelques pas de l’hôtel Prince de Galles, dans l’un de ces beaux immeubles haussmanniens en pierre de taille qui signent l’identité parisienne des quartiers cossus, l’architecte d’intérieur et designer Stéphanie Coutas a réussi l’exploit de réunir deux générations. Sans le moindre choc et dans une élégante cohérence.
Texte Catherine Peyre – Photos Francis Amiand
Le challenge n’était pas gagné ! Faire cohabiter dans un même appartement les codes et les goûts respectifs de parents et de deux étudiants, aurait pu s’avérer mission… impossible. C’eût été sans compter sur le talent et l’imagination créatrice de Stéphanie Coutas, dont l’agence Mille et Une Maisons avait déjà de nombreuses fois prouvé son excellence dans le triangle d’or parisien. Certes, la surface des deux appartements originels était conséquente, 400 mètres carrés. L’architecte d’intérieur a consacré séparément une demi-journée de brain-storming à chaque génération de cette famille d’étrangers amoureux de Paris ; pour les écouter et identifier leurs besoins, leurs desiderata, leurs modes de vie. Les parents voulaient un pied-à-terre de prestige et les enfants (un garçon et une fille de 18 et 20 ans) un nid douillet et cool pour poursuivre des études supérieures.
A la suite de ces entretiens, ayant obtenu carte blanche et adhésion absolument totale des deux parties, Stéphanie Coutas a décidé de réunir les deux appartements en un seul, mais en deux espaces de vie à identités marquées : élégant classicisme contemporain côté parents, graphisme pop pour les jeunes adultes. Elle a réalisé la métamorphose des lieux et les a livrés clef(s) en main(s), à l’instar des six véritables suites comme à l’hôtel, dans cet appartement familial et home privilégié pour réceptions. Stéphanie a opté pour le mat chez les étudiants et choisi les mêmes matériaux en poly brillant pour les parents, le taffetas de soie pour ces derniers, le velours et le lin chez les enfants… Chaque espace a été repensé dans une dynamique duelle, sans schizophrénie aucune mais au contraire en absolue cohérence et dans le respect de la quintessence haussmannienne. « Je respecte les lieux pour les mettre en beauté sans altérer leur âme. » Et pour introduire les codes de la modernité sans détériorer l’esprit de ce magnifique appartement, Stéphanie a conservé la cheminée d’origine, travaillé les lumières comme elle sait si bien les sculpter, créé de faux plafonds qui dissimulent l’éclairage tout en gardant les moulures de cet écrin classique remanié avec tous les égards.
Elle a fait parqueter l’entrée commune aux deux univers de lames de chêne Vaux-le-Vicomte qui poursuivent leur chemin sur les sols de l’espace parental et se transforment en lattes contemporaines de chêne clair côté post ados. « J’ai toujours privilégié les circulations naturelles, de jour comme de nuit ; un appartement doit être beau à toutes les heures de la journée. » Et dès l’entrée, on savoure l’unité de lumière et d’espace ouvert entre cuisine et living-rooms. A chacun son salon ! Les canapés à rayures graphiques signés Stéphanie Coutas pour 1001 Maisons, rythment l’espace des jeunes autour d’une table basse, custom-made par Stéphanie, en marbre brossé à l’envers pour un effet très mat et très brut, qui contraste avec un tapis Pierre Frey/Braquenié noir texturé.
L’ambiance pop est assurée par de grands cubes de corn flakes Kellogg’s (des pièces uniques de Cédric Avril), les leds RGB du plafond qui éclairent les moulures et multiplient les ambiances visuelles en Technicolor… sur l’art toy géant du dernier avatar de KL ou le portemanteau « Cactus blanc » de Drocco & Mello. Comme en négatif photographique dans le salon TV parental, le tapis Pierre Frey/Braquenié se décline en blanc sous un éclairage très doux qui reflète l’argent des revêtements muraux. Ici encore, Stéphanie Coutas a dessiné les sofas, les fauteuils et une superbe console en ébène et galuchat, pour rehausser l’ensemble des œuvres d’art contemporain minutieusement choisies.
« Notre métier consiste à oser et doser les mélanges à travers la personnalité des propriétaires, proposer aussi des pièces arty, faire cohabiter et fonctionner ensemble des œuvres de valeur avec des objets plus cheap, poser un objet à la bonne place parce que là, il aura une raison d’être, il donnera une respiration et plus de vie. » Ainsi elle a, avec beaucoup d’à-propos, associé deux toiles originales de l’artiste tagueur du Bronx « Crash » John Matos, un cube pop « Brillo » de Cédric Avril à des pots métalliques aux peintures subtiles d’Eischholtz, l’énergie libre d’une sérigraphie sur miroir de Robert Combas à un simple gorille en plâtre… Comme dans la cuisine commune aux deux générations, où des teckels en céramique de la galerie Artis Boromé croisent un « Nœud » original en Lego de fibre de verre et fonte émaillée du Milanais Matteo, qui revendique L’Ego en jouant avec les codes de l’enfance tout en dénonçant les distorsions, les contradictions et paradoxes de notre société.
Dans cette somptueuse cuisine soulignée de meubles Veneta Cucine et de fauteuils de Matteograssi, Stéphanie a installé un formidable ensemble constitué par une table en verre et albâtre rétroéclairé et son lustre aux globes de la même matière qu’elle a designés et réalisés avec l’Atelier Alain Ellouz, spécialiste de l’albâtre. Pour Stéphanie et sa dream team de l’agence 1001 Maisons qu’elle a fondée en 2005, le travail et la recherche sur les matières sont un fil d’Ariane prioritaire. Son bureau de tendances installé dans d’anciennes écuries du quartier des Champs-Elysées à l’atmosphère de loft new-yorkais, est un véritable laboratoire où l’on phosphore sur de nouveaux craquelés, où l’on travaille autrement le marbre ou le cristal de roche, où l’on redonne une vie à des brisures multicolores de verre de Murano… « pour que chaque projet ait une identité propre ».