Dans une usine désaffectée et réhabilitée en loft, la photographe Kimiko Yoshida a imaginé un univers sous influence nippone. Un écrin lumineux, ponctué des étonnants autoportraits de l’artiste.
Discrète, campée dans l’impasse d’un quartier à la mode, la maison ne se devine pas. Derrière la porte anonyme et les baies vitrées occultées de stores blancs, se cache un univers « cousu main » imaginé par la célèbre photographe japonaise Kimiko Yoshida. Dès l’entrée, le blanc s’impose en chef d’orchestre : murs, plafonds, sols, mobilier, éclairage. Les pièces à vivre cohabitent en un vaste volume sans portes, où la circulation se fait librement. Autour d’une table en marbre aux délicates veines de neige, six chaises de Verner Panton s’alanguissent entre cuisine, salon et salle à manger, sous les transparences d’un lustre en cristal de Murano créé par Rezzonico Ritorto.
Devant le bar, des tabourets « One » de Konstantin Grcic, et au fond de la pièce, blottie le long des fenêtres, une suite de fauteuils en cuir blanc et piètement de métal. Ode à la philosophie japonaise du presque rien La photographe a disposé peu de bibelots ; une collection de bougeoirs en verre soufflé mercurisé et quelques livres d’art ne suffisent pas à troubler l’atmosphère épurée des lieux. Seule tache de couleur dans cet écrin minimaliste, l’installation de plusieurs miroirs et de tables basses sérigraphiés. « Ma galerie des glaces personnelle », murmure Kimiko, la créatrice de ce trompe-l’oeil orné de branches de cerisiers en fleurs dont la couleur rose reprend celle d’un buste de l’artiste, posé sur une sellette au milieu du salon.
L’entrée du loft permet d’accéder directement à la cuisine. Autour du bar laqué blanc, les tabourets « Stool One H » de Konstantin Grcic et, sur le mur de droite, une série d’autoportraits (2009). A gauche, la photographe Kimiko Yoshida pose auprès de l’un de ses autoportraits. L’artiste y apparaît le visage dissimulé sous une cagoule en latex.
Au premier étage, dédié à la chambre, à la salle de bain, au hammam et au bureau, le mobilier, ici aussi, est réduit à l’essentiel. Quelques tables et des lampes prototypes s’effacent au profit des nombreuses photos accrochées aux murs blancs. « Toutes sont des autoportraits effectués à la chambre 20 x 25, et beaucoup font partie de la série des Mariées, réalisée entre 2001 et 2006 », précise leur auteur.
Dans la chambre, de gauche à droite, une même rigueur accueille une oeuvre de James Lee Byars, une lampe de chevet de Ron Arad pour iGuzzini et au mur, surplombant le lit, « Châteaux de sable », 1998.
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Une artiste qui se réinvente en permanence
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Née à Tokyo dans une famille de commercants, Kimiko Yoshida se passionne très tôt pour le dessin, le stylisme et la musique. Son père, très traditionnaliste, ne l’entend pas ainsi. « Il a saboté mon éducation artistique ». Partie en France à la fin de ses études, Kimiko apprend la photographie. Depuis elle y travaille sans relâche, sans assistant, sublimant l’art de la métamorphose. A la différence d’une Cindy Sherman qui se grime jusqu’à endosser d’autres identités, Kimiko ne disparaît jamais complètement sous ses étonnants costumes. Son visage s’affiche, se dévoile tout au long de ses portraits et ponctue, dans ce loft, les espaces de vie.
Regard fixe, bouche fardée façon geisha, derrière un voile, parée de bijoux tribaux ou chapeauté, le beau visage de Kimiko s’impose à la fois comme une émergence et un effacement. Somptueuse parure qui se découvre pas à pas au fil de cet univers ultra sophistiqué.
Salle à manger et salon voisinent dans une atmosphère épurée. La première accueille une table en marbre blanc et des fauteuils Verner Panton ; le second, un mur de miroirs sérigraphiés représentant des cerisiers en fleur.
Sa branche qui fleurit généreusement était comparée à la vie d’un samouraï, qui se faisait toujours enterré avec. Sur la table, têtes endormies (autoportrait 2006) et des sculptures en souvenir de Brancusi.