Voeu suprême des propriétaires vivant à l’étranger : venir dans leur résidence crétoise quand bon leur semble, été comme hiver, printemps comme automne. Un défi technique relevé par le studio Block 722.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Ana Santi
Amoureux de la côte orientale de la Crète, la plus sauvage, la plus rude mais aussi la plus diverse en paysages et en artisanat, un couple d’étrangers, après plus d’une dizaine d’années de vagabondage de villas en hôtels, a jeté son dévolu sur un terrain pentu dans les contreforts nord de Thrypti, impressionnante chaîne de montagnes. « Avec l’idée, raconte Katja Margaritoglou, de construire une maison pour venir quand bon leur semble, tout au long de l’année. » Nullement effrayés par les sautes d’humeur du climat, ni par l’austérité du paysage qu’adoucit la Méditerranée, ils ont contacté son studio, bien déterminés, avec des exigences mais aussi des idées plein la tête. Une belle amorce pour dialoguer, avancer.
Qui dit séjourner en toutes saisons, dit penser cuisine, salon et salle à manger bien équipés à l’extérieur comme à l’intérieur, mais aussi piscine d’eau de mer (l’eau manque dans cette région) chauffée avec une énergie durable pour s’y baigner sous le soleil mordant de juillet comme les jours où le meltem, vent du nord, frigorifie tout un chacun et que le thermomètre dégringole. Cela signifie aussi, compte tenu de l’isolement, plus encore à partir de novembre, d’installer salles de sport et de billard, home cinéma et des espaces pour recevoir famille et amis. Des données précises avec l’intention, non négociable, de poser, pour bénéficier d’une vue no limit, la villa de 280 m2 et ses 800 m2 d’aménagements extérieurs — jardin, pergola, piscine — au sommet de la colline. « Notre premier souci, comme sur tous nos chantiers, a été de réfléchir à la façon de limiter au maximum l’impact sur le paysage, confie Katja. D’où l’idée, avec Sotiris, l’architecte, de proposer d’éclater le bâti en plusieurs volumes de taille réduite plutôt que d’édifier une villa monolithique. Plus acceptable esthétiquement et écologiquement parlant, chaque maisonnette pouvant être ouverte, donc chauffée, individuellement. » Entre la maison principale et chacun de ces trois « blocs », dits maisons d’amis, ils ont aussi préconisé de laisser des espaces libres, plantés ou non, comme une sorte de respiration où la nature pourrait à l’envi reprendre ses droits.
Les propriétaires ont approuvé avec enthousiasme ces suggestions. Pendant des jours, plan, crayons et appareils photo en main, les architectes et les futurs habitants sillonnent le terrain, regardent, analysent pour s’assurer qu’en fonction de l’implantation chaque pièce regardera le paysage, dévoilant la mer, la montagne ou la plaine. C’est ainsi que peu à peu, en échangeant, en prenant et reprenant la copie, une propriété très contemporaine, discrète et respectueuse de son environnement s’est installée sur la colline. « Pour la comprendre, explique Katja, le mieux est de descendre à pied, par l’arrière à partir du croisement de la route principale avec le chemin desservant le domaine. On mesure bien tous les angles, tous les niveaux et la fusion quasi-totale avec la colline. Les deux bâtiments les plus conséquents dominent l’ensemble. Les deux autres se cachent un peu en contrebas. » Tous ont été construits avec les mêmes matériaux, utilisés depuis des lustres dans cette région. Et, pour mieux camoufler l’ensemble, le paysagiste a recouvert les toitures avec les mêmes végétaux que ceux colonisant le rocher sur lequel une partie de la maison principale s’adosse.
En bas, devant l’entrée principale, un grand patio avec quelques marches invite à pénétrer dans la maison. Lorsqu’on ouvre la porte, la vue se faufile entre deux volumes révélant une pièce d’eau et un olivier semblant flotter. Saisissant, comme un tableau de maître, un Cézanne ou une fenêtre à la Matisse dans laquelle s’encadre un élément majeur. Un cadeau, une émotion née des talents conjugués de Katja, Sotiris et de leurs acolytes, adoubés par des propriétaires comblés qui leur ont accordé leur entière confiance. La maison épouse, quant à elle, la pente du terrain comme si elle voulait gagner la mer, s’évader de ce
« port » à sec où elle a volontairement échoué.
Studio Block 722, Athènes
Fondé en 2009 par Katja Margaritoglou, architecte d’intérieur, directrice artistique, et Sotiris Tsergas, ingénieur architecte, Block 722 s’est vite spécialisé dans les projets résidentiels ou hôteliers et les boutiques très haut de gamme en Méditerranée puis dans le monde entier. 42 collaborateurs épaulent désormais les fondateurs. Pour Katja et Sotiris, qui adorait, enfant et adolescent, traîner dans l’atelier de son père menuisier, le lieu et le paysage jouent un rôle essentiel dans la conception architecturale, le choix des matériaux, les méthodes de construction, les plus locaux possible. L’un et l’autre revendiquent une approche naturelle, intemporelle, un design rassurant.
Article paru dans le numéro 170 de Résidences Décoration.