Un coup de foudre professionnel, ça existe. La preuve avec Delphine Versace et Virginie Friedmann qui, trentenaires, décidèrent de fonder leur studio. Secrets d’un duo qui cartonne avec ses hôtels et restaurants au charme joyeux et élégant.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le dû
Travailler, imaginer à deux, ça se passe comment ? Ça discute ? Ça se chamaille ? Ça stimule ? Chacune son rôle ou toutes pour un ?
C’est un échange très fluide. Nous suivons ensemble chaque étape du projet, de la création à la mise en œuvre. Il nous arrive d’être en désaccord mais, en général, nous trouvons vite des compromis positifs, toujours dans l’intérêt du commanditaire.
Pourquoi et comment avez-vous créé ce duo ?
Nous nous sommes rencontrées dans l’agence de Michael Malapert, en travaillant sur un projet du Club Med. Nous avons eu un coup de foudre réciproque. Fonder notre propre structure nous a semblé une évidence. Nous sommes complémentaires et nous nous apprécions avant tout sur le plan humain. Indispensable lorsque nous passons plus de 12 heures côte à côte chaque jour.
Delphine, en deux mots, résumez Virginie ; Virginie, en deux mots, résumez Delphine.
Delphine est réservée mais très déterminée, organisée. Une vraie machine de guerre.
Virginie, très créative, déborde d’idées. Impossible de s’ennuyer une minute avec elle.
Avez-vous une patte très personnelle ou êtes-vous souples, flexibles, attentives à coller aux désirs de vos clients ?
Nous possédons plusieurs cordes à notre arc. Nous aimons nous emparer de toutes sortes d’univers, du plus ornemental, comme Le Procope, plus ancien café-restaurant de Paris, proposant une ébénisterie très ciselée, des chinoiseries opulentes, au plus acéré, MoSuke, dans le 14e arrondissement, restaurant du chef Mory Sacko, révélé par « Top Chef ». Ici, nous avons conçu un décor épuré, japonisant. Le rôle d’un architecte, c’est bien sûr d’apporter sa touche, sa vision, son histoire, mais en harmonie avec le lieu et la sensibilité de ses clients.
Quels sont les projets auxquels vous êtes le plus sensibles ? Qui vous enthousiasment le plus ? Pourquoi ?
Les projets qui ont une âme, en lien avec un vécu, un territoire, un patrimoine culturel. Pour l’hôtel La Pérouse, à Nice, nous avons fait revivre l’esprit Riviera, et pour Bambini, à Megève, l’esprit tyrolien des Alpes, des sommets, en le rendant très chaleureux.
La déco selon vous, c’est de la mise en scène ? C’est raconter une histoire ? Entraîner dans un univers particulier ?
Les trois à la fois, en veillant à ce que le décor reste intemporel, authentique, car il doit résister aux modes. Pour le Ciro’s, sur les Planches de Deauville, nous nous sommes nourries de l’héritage architectural Art déco et Art nouveau de l’intérieur des paquebots début XXe siècle et du glamour sophistiqué du cinéma hollywoodien.
Vous êtes plébiscitées par les hôteliers et restaurateurs qui comptent et bousculent la donne. Quels sentiments cela vous procure-t-il ?
Bien sûr, cela nous flatte. En peu d’années, nous avons réussi à créer un studio qui fonctionne, à gagner la confiance de nos clients. Mais derrière cette image glamour, il y a une somme de travail énorme, constante.
Quels sont vos « maîtres » ?
Nous sommes très sensibles à l’univers de Jacques Grange et de Dimore Studio. Nous aimons la singularité de leurs projets, leur audace pour associer les couleurs, mélanger les styles, les époques. Le travail de Carlo Scarpa, de Gio Ponti, de Gabriella Crespi, nous touche également, nous émeut.
Justement, si vous deviez vous définir à travers une couleur, une musique, un matériau, lesquels serait-ce ?
Une couleur : le vert, pour toutes ses symboliques, la nature, la sérénité.
Une musique : deux en fait, « A far l’amore comincia tu » de Raffaella Carra, reine espagnole du disco, et « Cloudbusting » de Kate Bush, musicienne et chanteuse pop anglaise.
Un matériau : le marbre, pour sa palette étendue de nuances, sa dimension picturale et sa force minérale.
Un rêve secret l’une et l’autre ? Un fantasme professionnel ?
Décorer l’hôtel Tonnara di Scopello, en Sicile. C’est une ancienne pêcherie nichée dans une anse sur la mer Tyrrhénienne, une bâtisse magnifique dans un environnement sublime.
Vous avez aussi lancé l’année dernière « Constellation », votre première collection de mobilier, inspirée des arts décoratifs. Pouvez-vous raconter cette aventure ?
Constellation, c’est un univers à la croisée de la poésie, de la fantasmagorie et du meilleur des métiers d’art français. Une richesse ornementale appliquée à un canapé, un paravent, une table basse, un miroir de sorcière… Avec cette collection, nous ouvrons un nouveau chapitre : une odyssée sculpturale, onirique et fantastique, placée sous le signe de la féminité et de la fantaisie. Tout nous !
Les 6 dates marquantes de Friedmann et Versace
Février 2019 : la création de notre studio.
Juin 2019 : l’inauguration de notre premier chantier, un petit club à côté de la place Vendôme.
Janvier 2021 : la signature de notre premier projet à l’étranger.
Mais 2021 : l’inauguration de Bambini, le restaurant du palais de Tokyo, à Paris.
Décembre 2022 : la signature du projet de rénovation de l’hôtel La Pérouse à Nice.
Septembre 2023 : le lancement de notre première collection de mobilier, « Constellation ».
Article paru dans le numéro 176 de Résidences Décoration.