Dans une impasse préservée qui jouxte le Moulin-Rouge, sur le boulevard de Clichy, au pied de Montmartre, les architectes d’intérieur du Studio Klein ont redonné une âme à un repaire de peintres célèbres.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Agathe Tissier
La cité Yves-Klein est une adresse parisienne connue des rêveurs qui se baladent le nez au vent, s’aventurent hors des grandes artères et poussent des portes cochères donnant sur des impasses, des ruelles, leur curiosité étant récompensée par d’improbables découvertes. Côté 18e arrondissement, cœur du Pigalle autrefois canaille où, désormais, restos, cabarets et bars branchés remplacent maisons closes, cafés louches et filles de joie, elle est bordée d’ateliers, d’hôtels particuliers et de lofts dont les jardins tutoient le Moulin-Rouge.
Il y a trois ans, quelques mois avant le premier confinement, les ayants droit de cinq propriétés au fond de la cité – habitations, commerces ou théâtre – décident de les lotir pour les vendre. Suivant la tendance, le promoteur chargé de l’opération foncière détruit entièrement l’intérieur de ces constructions pour proposer des coquilles vides aménageables à l’envi. Un couple qui vivait dans le sud de la France, désireux de s’installer à Paris, découvre ce coin très intimiste du quartier, qui conte, au-delà du boulevard de Clichy brouillon et bruyant, le Montmartre artistique. Séduits par l’emplacement d’une sérénité absolue et l’environnement bourré de charme, ils achètent deux lots faciles à réunir, jouissant tout à la fois d’une hauteur sous plafond vertigineuse, d’une belle luminosité et d’une surface habitable de 395 mètres carrés, avec en prime une impressionnante liste d’ex-occupants, tous plus prestigieux les uns que les autres. Avant d’être transformés en studio de danse, les lieux furent successivement occupés par Toulouse-Lautrec, Yves Klein, Lucien Ginsburg, futur Serge Gainsbourg, alors étudiant aux Beaux-Arts. Des murs de légende…
Les acquéreurs n’ayant pas de relations dans le monde architectural, ils interrogent la gestionnaire de la cité, qui leur indique quelques noms. Le couple sélectionne alors quatre agences, leur proposant, si le projet les intéresse, de participer à un concours dont il fixe les règles. « Lauréats, explique Stéphane Satorra, du Studio Klein, nous nous sommes parfaitement entendus avec cette famille soucieuse de respecter le passé de ces ateliers et de ne pas développer un projet ostentatoire. Le fait que notre studio d’architecture d’intérieur soit implanté cité Klein depuis 2019 a sans doute légèrement joué en notre faveur, mais nos clients ont surtout été sensibles à notre envie de mettre en valeur le patrimoine, de jouer sur les volumes, d’utiliser des matériaux bruts, naturels, contrastés, et de faire appel à des artisans très spécialisés avec lesquels nous avons l’habitude de travailler. »
Le Studio Klein s’est chargé de réunir harmonieusement les deux lots, avec l’aide de leur collaborateur Antoine Lacronique, architecte DESA, et de définir la décoration en laissant le choix du mobilier et des objets aux nouveaux propriétaires.
L’épouse, originaire de la Dominique, ayant longtemps travaillé dans l’hôtellerie de luxe, maîtrisait parfaitement cet aspect. Elle s’est donc impliquée aux côtés des professionnels pour concevoir la demeure de ses rêves, fonctionnelle, facile à vivre et à appréhender.
Fidèle au cahier des charges, le chantier a très vite démarré avec le souci de conserver l’aspect extérieur originel et de privilégier les matériaux naturels écoresponsables.
Ainsi, dans les pièces à vivre au premier niveau du triplex – salon, boudoir, salle à manger, cuisine –, les matières brutes sans transformation sophistiquée sont privilégiées.
Peu, très peu de peinture, mais du bois, de l’acier, de la pierre, du marbre, du travertin, des enduits travaillés pour capter la lumière, des plinthes cannelées qui témoignent du savoir-faire des artisans avec, en point d’orgue, l’escalier à vis monumental en tôle patinée du living-room.
Parallèlement, Régis Berthon, créateur de RB Solutions à Enghien-les-Bains, a mis au point un système de commande par iPad du chauffage, de la climatisation intégrée, de l’interphonie, de la musique et de l’éclairage fourni par iGuzzini.
Au deuxième niveau, celui des chambres d’amis, une salle de cinéma fait le bonheur des cinéphiles les plus avertis. Si besoin, elle se transforme en un tournemain en chambre d’appoint.
Quelques marches encore et l’on parvient au dernier étage. Sur un plateau de 100 mètres carrés, la suite parentale, chambre, salon, boudoir, salle de bains, gravite autour d’un patio tantôt rooftop à ciel ouvert, tantôt jardin d’hiver avec sa verrière zénithale qui s’ouvre et se referme grâce à un système à crémaillère breveté Saint-Gobain.
« Un an de travaux… freinés par le confinement, mais nous avons remis les clés à la fin du mois de mai 2020, heureux d’avoir comblé les attentes de nos clients », se réjouit Stéphane Satorra.
Article paru dans le numéro 162 de Résidences Décoration.