Derrière la métamorphose en maison de famille d’une ancienne ferme d’alpage au-dessus d’Evian, se profile Dorothée Simon, architecte designer de talent. Du cousu main pour conserver l’âme du lieu !
Texte Anne-Marie Cattelain Le-Dû Photos Gilles Trillard / DR
En achetant il y a vingt ans une ancienne ferme en piteux état, ses propriétaires, parents de quatre enfants, n’imaginaient pas restaurer l’ensemble des bâtiments, et notamment l’impressionnante grange-étable occupant tout l’étage supérieur, accessible de plain-pied par l’arrière, compte tenu de la déclinaison du terrain. Leur première idée pour que leur résidence secondaire soit attrayante en toute saison : aménager le rez-de-chaussée où logeaient les paysans et transformer le mazot, cabane derrière les chalets d’alpage servant de débarras et de cave, en spa. Sans mesurer l’ampleur de la tâche ! Très vite, ils abandonnent cette idée pour se concentrer sur la partie habitation à laquelle ils donnent un style très « Heidi ».
Living convivial
Palette neutre choisie par la décoratrice qui a dessiné et installé en lieu et place de la bourne, ancienne cheminée en bois où séchaient jambons et saucissons, un âtre sur mesure en marbre du Zimbabwe. Suspensions « Octo » deSeppo Koho, Secto Design ; canapés Saba Italia ; tapis deJean-Jacques Beaumé, Toulemonde Bochart ; table basse et étagères en chêne conçues par Dorothée Simon.
Peu à peu, leurs enfants devenant à leur tour parents, ils envisagent d’investir le premier étage. Cet espace immense et délabré qui, n’ayant jamais eu d’autres fonctions que celles d’étable et de grange, ne compte que de petites ouvertures sans vitre, sans volet, quelques bardages grossiers en guise de séparation et un sol en planches brutes. En revanche, surplombant la vallée, la vue à travers ces semblants de fenêtres leur coupe le souffle : un panorama sans limite qu’aucun vis-à-vis n’entrave.
Cuisine essentielle
Pour déguster un vin chaud, on se serre autour de l’îlot en marbre du Zimbabwe et chêne dessiné par Dorothée Simon, point de ralliement au retour d’une virée à ski. Robinetterie Dornbracht. Au sol, grès posé par un marbrier local et au mur, photo de Gilles Trillard.
Cette fois, pas question d’entreprendre ce chantier sans les conseils et l’intervention d’un architecte décorateur capable de structurer et de valoriser ce qui n’est alors qu’une plateforme de guingois. L’approche pragmatique et esthétique de Dorothée Simon, sa manière de raconter les lieux à venir, de prendre en compte les impératifs familiaux, les convainquent. « Mon principe initial, explique-t-elle, en partant des ouvertures existantes, a été de créer de grands cadrages sur l’extérieur avec, pour ne pas dénaturer la façade originelle, un jeu de bardages ajourés qui, comme des claustras, laissent passer la lumière mais occultent les vitres de l’extérieur. » Choix validé par les services de l’environnement. Second parti pris fort : démonter et remonter à l’identique la façade en mauvais état, avec l’aide et le savoir-faire d’un charpentier local. « Nous avons conservé et retapé toutes les portes, détourné les perches à foin en volets. Ensuite, je me suis appuyée sur l’existant et le paysage, en association étroite avec les artisans du coin qui travaillent à la perfection les matériaux traditionnels et notamment le bois. J’ai banni les codes convenus des chalets de montagne avec peaux de mouton, cœurs brodés, rideaux rouges et verts et opté pour un design chaleureux, épuré, dessinant moi-même, avec le charpentier, des meubles en chêne répondant aux matériaux anciens. »
Sur l’alpage, l’ancienne ferme en ruine amorce un nouveau chapitre de son histoire.
Face cachée
à l’arrière du chalet, semblant percer la montagne, se niche une chambre de poche ravissante, égayée par une cheminée contemporaine. Façade et volets sont d’origine tout comme la porte. Elle est doublée par une paroi coulissante taillée sur mesure dans le même bois que celui utilisé à l’intérieur.
Ainsi, Dorothée organise le living surplombant la vallée autour de l’ancienne bourne, cheminée en bois de l’époque qui, habillée de marbre de Zimbabwe, prend une autre dimension. Elle réutilise, selon le principe « rien ne se perd tout se transforme », les madriers dans l’arrondi de l’escalier et pour encadrer le billard. Pour ne pas heurter les couleurs alentour, du ciel, de la roche, des toits, elle décline des teintes variant du bleu gris des nuages au taupe de l’horizon. Ce living, dans le sens premier du terme enfilade sans cloison du salon, de la salle à manger et de la cuisine, s’étire sans limite en hauteur, accueillant un jeu de suspensions.
Neuf chambres, neuf salles de bains, chacune déclinée dans un style bien tranché.
Dans les neuf chambres et leurs salles de bains, elle ajoute à sa réflexion esthétique la dimension pratique. Hormis la suite parentale, attribuée d’office aux parents, et le dortoir pour les petits, aucun enfant ne possède sa chambre en propre. « En arrivant au chalet, chacun prend dans un vestiaire son casier avec les affaires qu’il laisse en permanence et s’installe dans une des chambres libres. Pour ne pas dénaturer l’ordonnancement, j’ai prévu, un peu comme dans un hôtel, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place : dans toutes les salles de bains, des espaces sont prévus pour les trousses de toilette, le sèche-cheveux, le sac à linge… Ce sont des détails qui, tout en facilitant le quotidien, préservent l’aspect originel. Fonctionnel depuis dix mois, après de lourds travaux, le chalet, mon premier chalet, où je retourne régulièrement pour saluer ses propriétaires, ressemble toujours à celui que j’ai concocté pendant dix-huit mois avec l’aval bienveillant de la famille qui y séjourne heureuse. Ce qui, croyez-le, est une récompense et la preuve que j’ai saisi l’âme des lieux tout en répondant aux attentes de mes clients. »