C’est l’unique maison réalisée en France par l’architecte finlandais Alvar Aalto. Figure de l’architecture moderne, avec cette touche d’humanité en plus, cette maison est le fruit d’une belle rencontre entre deux amoureux des belles choses.
Texte Anne-Louise Sevaux / Photo Jari Jetsonen
Au milieu des années 1950, Louis Carré, antiquaire, galeriste réputé et collectionneur d’art, se lance dans un nouveau grand projet : faire construire sa propre maison. « C’est quelqu’un qui allait au bout de ses idées, il voulait toujours le meilleur, raconte Asdis Olafsdottir, administratrice de la Maison Louis Carré. Il a considéré cette maison comme une œuvre d’art. » Dès le départ, il veille donc à ce que tout soit parfait, conforme à sa vision.
C’est dans le petit village de Bazoches-sur-Guyonne, dans les Yvelines, qu’il acquiert un vaste terrain légèrement vallonné. Cossu, discret, bien situé à une cinquantaine de kilomètres de Paris, le lieu est idéal. Reste à trouver l’architecte. S’il aurait pu logiquement se tourner vers son ami et ancien voisin Le Corbusier, Carré, amoureux des belles matières, refuse le béton brut de l’architecte français.
C’est finalement vers Alvar Aalto, figure majeure de l’architecture moderne, qu’il se tourne. L’architecte finlandais a su tempérer la rigueur du modernisme avec une approche plus sensible, organique et profondément humaine. Voilà ce qui séduit le galeriste français.
Les deux hommes se rencontrent pour la première fois sur les bords du Grand Canal à Venise, en 1956. Le courant passe immédiatement : c’est le début d’une belle collaboration et d’une longue amitié. Louis Carré remet à Aalto un cahier des charges succinct, lui laissant une grande liberté pour exprimer sa créativité. Ce sera la première (et unique) maison conçue par l’architecte en France. Il y livrera l’un de ses projets les plus aboutis.
Le chantier débute en 1957. Très occupé par d’autres projets d’envergure en Finlande et aux États-Unis, Alvar Aalto confie la direction du chantier à son épouse et collaboratrice, l’architecte Elissa Aalto. Son rôle fut essentiel dans la concrétisation du projet et Alvar Aalto l’a toujours pleinement reconnue.
Malgré la liberté offerte, Louis Carré avait tout de même quelques exigences : il voulait pouvoir recevoir ses nombreux amis, exposer ses œuvres d’art et souhaitait une maison « petite à l’extérieur mais grande à l’intérieur ». Aalto a alors imaginé cette maison plutôt discrète de l’extérieur mais beaucoup plus grande qu’on ne le pense. Autre singularité structurelle : « Chaque façade est différente, tout en étant en parfaite harmonie avec l’environnement, observe Asdis Olafsdottir. C’est typique d’Aalto. » Quant au toit, l’architecte imagine une toiture suivant la pente naturelle du terrain, assurant,
là encore, une insertion harmonieuse dans le paysage.
Carré et Aalto partageant un amour des beaux matériaux, la maison fait ainsi la part belle à la pierre de Chartres, à l’ardoise de Normandie, au cuivre ou encore au bois. Le résultat est une œuvre architecturale élégante, unique, chaleureuse sans être ostentatoire.
Et il en est de même à l’intérieur, où tout a été pensé dans le moindre détail par Aalto : mobilier, luminaires, boiseries, jusqu’aux poignées de porte, tous les éléments ont été spécialement conçus pour la maison. Preuve de l’admiration que Louis Carré portait à l’architecte : lui, antiquaire et amateur de pièces rares, n’y a introduit aucun meuble personnel, laissant Aalto mener sa vision jusqu’au bout. Et près de 70 ans après sa construction, « la maison est toujours étonnamment moderne aujourd’hui », assure Asdis Olafsdottir. Preuve, s’il en fallait une, qu’on est bien ici face à une icône de l’architecture.
Maison Louis Carré : 2, chemin du Saint-Sacrement, 78490 Bazoches-sur-Guyonne
Article paru dans le numéro 182 de RD – Résidences Décoration.




