Pourquoi cette maison blanche sur pilotis fascine toujours autant aujourd’hui ? Retour sur l’histoire de la villa Savoye, pour comprendre ce qui a fait d’elle une icône de l’architecture moderne, signée Le Corbusier.
Texte Anne-Louise Sevaux
Elle n’est ni vraiment belle, ni vraiment confortable. Ni resplendissante ni immense. Pourtant, près de 100 ans après sa création par Le Corbusier, la villa Savoye fascine toujours. Chaque année, plus de 40 000 curieux et amateurs d’architecture du monde entier se rendent à Poissy pour découvrir « en vrai » celle qu’on connaît si bien en photo.
« C’est une villa qui se vit, assure Alexandre Vitel, administrateur du site. On ressent quelque chose de très instinctif quand on est ici, c’est frappant. » Cette aura qui est, par définition, insaisissable et indéfinissable, fait de la villa Savoye une icône, non seulement d’architecture, mais aussi d’habitat et d’urbanisme.
Cette maison doit son nom au couple Savoye, une riche famille du nord de la France, qui a fait fortune dans le courtage en assurances. Les Savoye rêvent d’un pied-à-terre à la campagne, et achètent alors, en 1928, un immense terrain à Poissy. C’est à l’époque la « vraie campagne » à une vingtaine de kilomètres de Paris. Ils souhaitent une maison fonctionnelle et lumineuse, bénéficiant de tout l’équipement moderne : électricité, eau chaude, chauffage central… Cette même année, ils font appel à Le Corbusier, déjà très réputé, pour transformer leur rêve en projet.
« Il faut avoir en tête qu’en 1930, les riches propriétaires construisaient habituellement de grandes maisons bourgeoises, où tout est basé sur la décoration et l’ornement, rappelle Alexandre Vitel. On est en pleine période Art déco. » Loin, bien loin donc de la radicalité moderne des projets signés Le Corbusier.
Mais l’architecte a trouvé son public, notamment parce qu’il est fin communiquant. « Il a beaucoup travaillé sur sa notoriété, a toujours su soigner sa communication et expliquer sa vision, notamment en collaborant régulièrement avec la revue “L’Esprit nouveau”. »
Il s’est également fait connaître lors de l’Exposition des arts décoratifs de 1925, avec son disruptif Pavillon de l’Esprit nouveau. Trop moderne pour certains, fantastique pour les autres.

À travers le projet des Savoye, Le Corbusier voit l’occasion d’aller au bout de sa réflexion, de sa vision architecturale moderne. Sur ce terrain de 7 hectares, libéré de toute contrainte,
il applique alors ses cinq piliers : pilotis, toit-jardin, plan libre, façade libre et fenêtres en longueur. Il conçoit la villa comme une « machine à habiter » : un intérieur adapté et fonctionnel, combiné à un lieu propice aux rêves, sans murs ni cloisons. Fasciné par la modernité et le progrès, les dimensions de la maison sont définies en fonction de la voiture du couple. Côté matériaux, il choisit le béton armé, le carrelage et le fer. Il propose également un équipement fourni avec la maison comme des tablettes ou des rangements. Pour la première fois, on adapte la maison au besoin, et non pas l’inverse.
Malgré cela, la villa Savoye s’avère rapidement être un lieu difficile à vivre au quotidien, avec ses nombreux problèmes d’étanchéité, de luminosité et d’isolation…
Cette maison marque malgré tout l’apogée de l’œuvre de Le Corbusier en matière d’habitat individuel. C’est d’ailleurs sa dernière villa, puisqu’il se tournera ensuite vers l’habitat collectif après la Seconde Guerre mondiale.
Ce conflit mondial qui marquera à jamais l’histoire de la villa : occupée par les Allemands puis par les Américains, elle est en piteux état après-guerre. Les Savoye ne souhaitent pas la rénover. Au cœur d’un grand programme de reconstruction, la Ville de Poissy rachète le terrain en 1958 pour y construire des immeubles et un lycée. Il est question de détruire la villa Savoye. Le Corbusier lui-même alerte le monde de cette décision.
La maison sera cédée à l’État en 1962, puis classée aux monuments historiques en 1965. Un long travail de restauration peut alors commencer. En 2016, elle entre au patrimoine mondial de l’Unesco, aux côtés de 16 autres œuvres de l’architecte français. Aujourd’hui, elle est inscrite au Centre des monuments nationaux et est ouverte à la visite.
Article paru dans le numéro 180 de RD – Résidences Décoration.