Bienvenue à Fire Island, à deux heures de Manhattan, chez le collectionneur Ilan Cohen, qui, avec la complicité de l’atelier de conception architecturale new-yorkais BoND, a imaginé un écrin d’inspiration moderniste dédié à l’art.
Par Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Chris Mottalini
Posée sur l’océan Atlantique, au sud de Long Island, improbable langue dunaire de quarante-huit kilomètres de long sur un seul de large, Fire Island s’est muée au fil des décennies en lieu de villégiature de la haute société new-yorkaise. Une terre longtemps inhabitée, déserte, où les végétaux endémiques s’en donnent à cœur joie. Une terre d’asile, de tolérance, au mitan du XXe siècle pour la communauté gay, l’homosexualité étant, ce qu’on a oublié, totalement interdite et réprimée aux États-Unis jusqu’en 1962. Sur Fire Island, hier comme aujourd’hui, quelle que soit son inclination sexuelle, chacun mène sa vie comme il l’entend, sans tabou. L’île s’est ainsi développée, soucieuse du bien-être des humains et de la nature, solidaire. Avec une architecture à son image, simple, élégante, décontractée, comme celle d’Horace Gifford, qui a signé les premières demeures.
C’est cette histoire qui a séduit Ilan Cohen, collectionneur d’art à la recherche d’une résidence secondaire paisible pour abriter quelques-uns de ses trésors. Avec la complicité d’amis insulaires, il acquiert en 2021 une maison à la façade effilée qui lui rappelle les villas modernistes californiennes des années 1950. Une villa entourée d’eau, avec vue sur Long Island au nord, et sur l’océan au sud… Avec pour voisines quelques demeures semblables, sans prétention, nichées dans la verdure. Des habitations qui dialoguent entre elles, sans autre délimitation qu’un petit chemin serpentant entre elles.
L’idée de base : favoriser la convivialité, en débarrassant toutes les pièces, notamment le salon, des objets superflus comme les étagères et en déplaçant le poêle à bois pour élargir l’espace.
Proche des fondateurs de l’agence BoND, Ilan leur demande conseil pour s’assurer de la faisabilité d’une restauration indispensable et la prendre en charge, le propriétaire vendeur ayant entrepris vingt ans plus tôt une transformation alourdissant et enlaidissant les pièces. Du Formica aux couleurs vives habillait un mobilier sans grâce.
« Nous avons d’emblée aimé cette maison, l’une des plus anciennes de l’île, et avons eu à cœur de lui redonner son style, explique Noam Dvir. L’essentiel, l’urgence : l’alléger, supprimer les placards, les étagères, les objets, les appareils ménagers, les teintes qui l’encombraient, l’étouffaient. Et en parallèle, dégager la vue sur l’océan, la plage, Long Island. »
Point central, point de ralliement, le living-room de 180 mètres carrés. Noam et Daniel proposent de le restructurer en déplaçant le poêle vers le mur et en distinguant, sans les cloisonner, deux espaces : loisirs-détente et repas-cuisine. Ils envisagent aussi, pour une meilleure isolation thermique et dans un souci d’esthétique, de doubler les murs de panneaux inclinés en cèdre à la façon d’Horace Gifford.
« “Agissez comme des artistes, faites preuve de créativité, d’imagination, vous avez mon aval” était la consigne d’Ilan. Ça donne des ailes, une telle liberté pour retrouver l’esprit originel de la villa, concevoir un lieu de vie, confortable, permettant tout à la fois de prendre un verre entre amis dans la cuisine ou de méditer près de la cheminée. Nous nous sommes dépassés, choisissant une palette très Fire Island, du vert foncé des arbres au ton sable rehaussé d’ocre et d’orange des dunes, mélangeant des matériaux, le bois de cèdre, l’aluminium, l’acier inoxydable, pour les boutons de porte dans la cuisine par exemple. Et au final, mixant des éditions exclusives de jeunes designers avec des meubles vintage, chinés de-ci de-là contant la première période de l’habitation. “Osez !” Oui, nous avons osé. Et le résultat a été tel que, son refuge insulaire achevé, Ilan nous a confié la décoration de son appartement new-yorkais. Une vraie reconnaissance ! » se souviennent les deux concepteurs.
Pour redonner son style d’origine très années 1960 à cette maison insulaire, propriétaire et architectes ont dialogué et se sont investis côte à côte.
Résultat : une restauration audacieuse, très personnelle.
Noam Dvir et Daniel Rauchwerger, fondateurs de BoND, New York
Parcours atypique de ces deux partenaires dans la vie professionnelle comme personnelle qui, après une formation de journaliste, ont suivi un autre cursus pour devenir designers architectes, ouvrant en 2020 leur agence. Noam est diplômé en architecture et design urbain de la Harvard Graduate School of Design et de l’Université de Tel-Aviv. Daniel de la Harvard Graduate School of Design et de la Bezalel Academy de Jérusalem. Leur but sur ce projet : libérer l’espace, l’ouvrir, retrouver les lignes et l’esthétique d’origine.
Article paru dans le numéro 177 de Résidences Décoration.