Ibiza : symphonie bleue sur la colline

Plein ouest, surplombant Ibiza, cette finca restaurée dans les années 60 par l’architecte canadien star Rolph Blakstad, alors installé sur l’île, retrouve sa superbe sous la houlette d’Oscar Lucien Ono de Maison Numéro 20. Bain de fraîcheur.

Par Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Francis Amiand

Qui mieux qu’Oscar Lucien Ono, architecte d’intérieur pétri d’histoire, de fantaisie et d’imagination, et coloriste revendiqué, pouvait donner une troisième vie, en phase avec l’époque, à cette finca deux fois centenaire ? Amoureux du soleil, des îles, sensible au vécu des êtres et des choses, Oscar Lucien le germanopratin a pris à bras-le-corps et à cœur ce chantier, s’alliant avec le paysagiste Jean-Luc Bonnet de L’âme des Jardiniers pour que l’extérieur réponde en miroir aux 250 m2 intérieurs. Un sans-faute traité en kaléidoscope éclaté de nuances bleues, jaunes et vertes.

Notes sixties
à l’ombre du vieux poivrier, la piscine a gardé sa forme « haricot » très vintage, s’habillant juste de mosaïque Bisazza et d’un large deck en béton peint. Mobilier de jardin Kettal, appliques Sammode Studio.

Ibiza, terre brûlée, aride, isolée, fut longtemps terre paysanne aux fincas solides plantées sur des champs caillouteux. C’était bien avant que l’île, alors la plus pauvre des Baléares, ne s’affole et perde la tête dans les années soixante avec le débarquement des hippies accourus d’Europe et d’Amérique, puis dans les années 2000, ne se trémousse en hurlant pour couvrir les décibels de David Guetta lors de fêtes plus enflammées les unes que les autres, avec en apothéose la plus allumée de toutes, la soirée « F*** Me I’m Famous » ou « FMIF » au Pacha Club.

Murmure du vent
Déjeuner sous la pergola de Maison Numéro 20, face à la baie de Sant Antoni qu’une légère brise caresse souvent. Table en bois massif posée sur le sol en béton ciré. Lustres Contardi Italia.

Double face, double ambiance, double plaisir, dehors et dedans, selon les heures.

Cette villa perchée sur les hauteurs d’Ibiza, la capitale, au-dessus de la baie de Sant Antoni, face aux plus fabuleux couchers de soleil du monde, conte sous ses poutres rustiques d’origine et à l’ombre de ses très vieux arbres ces épisodes marquants. Finca à l’origine, ses occupants y élevaient des chèvres et des moutons, bêtes peu regardantes sur la qualité du pâturage.

Concert vocal
Convivial, le canapé en cercle brisé de Minotti invite aux confidences. à l’heure de l’apéritif, les tables de Gallotti & Radice accueillent verres et bouteilles. Spots Kreon, coussins bleus Rubelli, coussins beiges élitis, voilage Nobilis, tapis Lelièvre Paris.

Délaisser la piscine et le solarium aux heures chaudes pour converser dans un salon serti de verdure.

Très proche de la ville, l’arrivée de consommateurs d’herbe d’un tout autre calibre, et d’une jeunesse rebelle en quête de liberté et de nouvelles expériences, bouleversa sa destinée. On lui trouva du charme et l’avantage d’être à la fois proche du port, des fiestas mais assez en retrait pour garantir une relative intimité. Rachetée en 1969, ses acquéreurs demandèrent à Rolph Blakstad, architecte canadien en vogue qui jeta l’ancre avec sa jeune épouse Mary dans le port d’Ibiza en 1956 pour ne plus en repartir, de transformer la ferme en maison d’habitation contemporaine.

Or en crescendo
Jouer la sophistication avec une console Brabbu décorée à la feuille d’or et des murs en moire Nobilis. Le lustre CTO Lighting éclaire le buste de Tanit, déesse de Carthage, et les poteries de Can Kinoto, artiste d’Ibiza. Miroir Vine de Ginger & Jagger.

Ce qui fut fait comme pour des dizaines d’autres fincas que l’on désigne aujourd’hui sous le terme de « Blakstad houses ». Lorsqu’il y a quelques mois ses nouveaux propriétaires, un couple de Français travaillant dans la communication, sollicitent Oscar Lucien Ono, fondateur du studio Maison 20 à Saint-Germain-des-Près pour prendre en charge la rénovation de leur bien, l’architecte décorateur se réjouit d’écrire un nouveau chapitre esthétique et de restructurer la demeure vieillissante. « J’ai très vite apprécié son potentiel, outre sa situation exceptionnelle avec sa vue entièrement dégagée sur la baie, la ville et la végétation. » Il fallait repenser l’espace et démolir nombre de murs pour que les pièces étriquées disparaissent et laissent la place à des surfaces qui respirent.

Pour que la lumière et le soleil investissent les lieux, que la nature entre littéralement dans la maison, de grandes baies entièrement coulissantes soulignées de montants noirs s’imposaient. « Mes clients ont adhéré à cet état des lieux et à ce projet ambitieux qui m’a mobilisé pendant un an », se souvient Oscar Lucien Ono.

Ecouter le silence
Dormir les baies ouvertes pour savourer le calme ou rêver sur sa terrasse meublée Kettal. Dans la chambre, dressing en miroir et feuille d’or de Solène Eloy de L’Atelier du Mur, voilage Nobilis, suspension Bomma. Tableau d’Aldo Kodac, galerie The Rose Ibiza.

En parallèle, le paysagiste, tout en préservant quelques arbres splendides dont un étonnant poivrier, devait lui aussi inventer sur le terrain de 2 500 m2 un jardin qui ne soit ni trop sophistiqué ni trop sauvage et qui pourrait accueillir tout à la fois, selon les plans de l’architecte, une salle à manger extérieure et un solarium cohabitant avec intelligence sous une pergola créée sur mesure.

Ça swingue
Lavabo d’invités, esprit boîte de nuit, en noir et or, avec son jeu de miroir pour agrandir l’espace. Vasque en pierre noire, Porcelanosa, robinetterie Dornbracht.

Jeux de murs érigés à l’ancienne, grands palmiers, pins japonais majestueux, plantes autochtones, verger avec une fontaine : très vite le jardin a fait sens. « D’un commun accord, avec les propriétaires, nous avons décidé de ne pas remplacer la piscine haricot, très années soixante-dix, par une piscine miroir qui risquait de déséquilibrer l’ensemble. Habillé d’une généreuse plage en béton et de faïence tout en gardant son style, le bassin de nage lifté matche avec la maison. »

Introduire dans chaque pièce, entre les murs blancs, tous les bleus qu’Ibiza décline, du ciel à la mer.

Une fois les grandes lignes de la rénovation tracées, Oscar Lucien Ono et son collaborateur Alexandre Sauger ont dessiné chaque espace avec un sens du détail qui les caractérise, plaçant le mobilier futur, les œuvres d’art, définissant un nuancier avec le bleu en majesté, du Klein au pastel, du turquoise au Majorelle, puis le jaune en touches solaires, l’or, le noir et le blanc en guest stars.

Selfie
Oscar Lucien Ono, l’architecte décorateur, pose en tee-shirt bleu Klein en bas de l’escalier dessiné par son studio MaisonNuméro 20. La première marche bleue se prolonge en console face aux radiateurs Antrax bleu nuit.

Oscar Lucien et Alexandre ont ratissé les galeries d’art et les boutiques d’Ibiza pour dégoter de la vaisselle artisanale, des objets exclusifs, et trouvé les meilleurs artisans. Ils ont feuilleté les catalogues de leurs éditeurs de tissus chouchous, Dedar, élitis, Rubelli… pour personnaliser le salon, les quatre chambres et le petit studio indépendant, ne s’interdisant aucun délire, perchant même une cabane dans les arbres. Des plus qu’aime proposer Maison Numéro 20 et qui valurent à Oscar Lucien Ono, en 2019, le Prix de l’Originalité lors des Awards des Talents du Luxe et de la Création.

Article paru dans le numéro 158 de Résidences décoration

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