Rythmer l’espace d’un grand appartement, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris. L’inonder de lumière, l’animer d’œuvres d’art et de mobilier très gai pour, sans regret, oublier son passé haussmannien. Une métamorphose orchestrée avec punch par l’architecte Camille Hermand.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Agathe Tissier
Un bel immeuble haussmannien du sixième arrondissement, rue Notre-Dame-des-Champs, proche du boulevard Raspail et de Montparnasse. Un quartier parisien branché, style village, où les rares biens immobiliers se vendent de bouche à oreille. Cherchant un vaste pied-à-terre dans la capitale pour recevoir leurs amis, organiser des réceptions et des événements culturels, les propriétaires possédant une grande demeure en province sautent sur l’occasion lorsqu’on leur parle de cet appartement de 190 m2 haut perché. Mais ils sont surpris, lors de leur première visite, de découvrir une sorte de loft tout blanc, style années soixante-dix, dont les précédents occupants ont gommé tous les codes haussmanniens. Plus de moulures, plus de stucs, plus de dorures, plus de parquets, plus de cheminées, plus de hauteur sous plafond. Mais la localisation, le voisinage et la copropriété, regroupant des personnalités intéressantes dont quelques VIP, les séduisent. Ils craquent avec l’intention première de retrouver le style d’origine, de lui redonner vie.
Ayant vu quelques réalisations de Camille Hermand, sachant qu’elle est tout à la fois architecte, capable de s’attaquer aux infrastructures si nécessaire, et décoratrice d’intérieur, ils lui demandent si elle accepterait de travailler sur ce projet.
Monsieur, homme d’affaires belge, imagine des pièces élégantes aux teintes douces en dégradés de beige, blanc, sable, écru.
Madame, galeriste et artiste, rêve d’un appartement très contemporain aux couleurs heurtées, pour accrocher les œuvres de ses artistes préférés.
Tous les deux, en revanche, sont d’accord pour restituer l’âme et le caractère originels des lieux. Camille les écoute, recueille les envies de l’un et de l’autre, dresse un état des lieux minutieux. Et, après de très longues discussions, les convainc dans une démarche dynamique d’oublier le passé pour se concentrer sur la capture de la lumière pénétrant par la façade sud afin qu’elle inonde les pièces plus sombres ouvrant sur la rue.
Concession au XIXe siècle, elle propose de poser un beau parquet, en lieu et place de la moquette très connotée, et de réinstaller dans le salon une vraie cheminée où crépiterait un feu, puisque Paris l’autorise.
L’idée maîtresse de Camille Hermand est de concevoir cet appartement comme une immense suite de luxe, avec de larges espaces de réception, un lieu de vie sans contrainte, facile à se réapproprier lors de chacun de leur séjour. L’architecte propose donc de définir une vaste partie réception comprenant salon, living et cuisine, communiquant avec fluidité pour faciliter le travail et les va-et-vient des employés – chef, maître d’hôtel, serveurs –, et d’installer dans une autre partie plus intimiste la Master Suite et la petite chambre d’amis.
Cette proposition très moderne, très gaie et correspondant à leur mode de vie les enthousiasme. Confiants, ils donnent carte blanche à celle qui va jouer les ordonnatrices, mobilisant ses collaborateurs pour mener le chantier tambour battant.
Premier acte : détruire l’imposante entrée, qui bloque littéralement la lumière et assombrit l’ensemble, au bénéfice d’un sas plus modeste avec des parois coulissantes en miroir et en verre, histoire de voir sans être vu. « Je voulais redonner une respiration, une envergure, explique Camille Hermand. Les parois coulissantes permettent de moduler les pièces, les ouvrant toutes lorsque le couple reçoit, recréant une intimité, un cocon élégant lorsqu’ils y séjournent seuls.»
Deuxième acte d’importance : revoir toutes les huisseries et choisir des encadrements noirs pour mettre en valeur la vue du balcon filant, comme un tableau de maître.
Troisième acte, en relation étroite avec madame qui va choisir les œuvres d’art : habiller le salon d’un mur noir pour accrocher les peintures, exposer les sculptures, poser les livres. Avec en son centre une cheminée, véritable pôle d’attraction tant lors des réceptions que les soirs où le couple se retrouve en tête-à-tête, en amoureux, pour lire, discuter, écouter de la musique ou juste contempler le spectacle des flammes.
Dans chaque pièce, le noir, en aplat ou en touche suggérée, tisse un lien, un fil conducteur, des huisseries à la peinture de certains murs, du marbre de la salle de bains aux pièces de mobilier tel le fauteuil Le Corbusier de la chambre. Il embellit, souligne les couleurs pop du salon, les tissus. Essentiel, il joue le rôle d’exhausteur de goût. Allié majeur pour que les couleurs explosent.
Reportage paru dans le numéro 160 de Résidences Décoration