Chaise bistrot : le grand retour d’un classique

Du mythique café de Flore au petit zinc de quartier, la chaise bistrot en rotin est un incontournable des terrasses parisiennes. Des monuments à s’offrir dont s’empare la jeune garde de la création.

Texte Marie Godfrain

C’est à la fin du XIXsiècle que démarre l’histoire de la chaise bistrot en rotin. Une période qui voit apparaître les premiers jardins d’hiver dans les demeures bourgeoises et naître l’esprit « intérieur-extérieur ». Nous sommes en pleine période ­ coloniale, qui favorise l’émergence et la popularité d’un nouveau matériau provenant d’Asie : le rotin. Contrairement à l’osier, qui est un végétal local, assez fragile, travaillé depuis la nuit des temps, il faut attendre l’importation massive du rotin en Europe, matériau léger, facile à travailler, solide et peu onéreux, pour que les artisans et créateurs transforment cette liane originaire d’Extrême-Orient en mobilier résistant, exotique, chic et convivial qui inonde les intérieurs et les terrasses de café, qui se multiplient dans les villes durant la Belle Époque.

Le motif de la chaise « Enlace », classique au premier regard, a été dessiné aléatoirement à l’aide d’algorithmes par le studio Aranda/Lasch pour Drucker et Trame.

Louis Drucker sera l’un de ces fabricants. Son apprentissage achevé, il se mettra à son compte à tout juste 21 ans. Après des débuts à Paris, il déménage son atelier dans l’Oise, à Béthisy-Saint-Martin en 1919. Là, il peut développer son activité pour faire face au succès qu’il doit à son goût pour la couleur, essentielle dans la diversification des modèles, et à son travail du cannage. Il sait tirer parti de la large gamme chromatique proposée par l’importateur de rotin brut qui a mis au point en 1920 un procédé pour teinter ce matériau. C’est à cette époque que naît la maison Gatti, concurrent de Louis Drucker. Les deux manufactures demeurent encore aujourd’hui les principaux fabricants de chaises en rotin, même si elles ont été rejointes par de nombreuses propositions de qualité variable. Le jacquard des cannages réalisé par de véritables artistes fera des modèles de Louis Drucker la marque incontournable des terrasses parisiennes, dont les plus célèbres, le Flore, la Coupole ou le Café de la Paix.

Le Café de Flore, l’une des institutions parisiennes meublées en chaise bistrot en rotin. © Jean Marc-Palisse

Revisitée par les stars du design 

Aujourd’hui, alors que l’époque n’a de cesse de revisiter les classiques, on doit le renouveau de cet incontournable des terrasses à de grands décorateurs comme India Mahdavi, qui en a dessiné une collection aux rayures en épi tricolores pour le Café français, place de la Bastille, Robert Stadler pour le café Corso, Philippe Model ou le jeune Anthony Guerrée, qui s’est inspiré d’un personnage de Proust pour sa chaise Odette. Ce printemps, l’architecte d’intérieur Pierre Gonalons a dessiné « Sacré Cœur », une collection de chaises et fauteuils au médaillon de dossier en forme de cœur. 

En haut, la chaise « Sacré Cœur » de Pierre Gonalons, qui revisite avec un œil romantique le classique modèle Drucker.

Certains ont même fait appel à l’art génératif pour donner une nouvelle jeunesse à cette vieille dame, preuve de sa versatilité et de sa capacité à s’adapter à la création contemporaine. L’entrepreneur Ismaïl Tazi a fondé il y a quelques années Trame, qui édite des pièces de design et des œuvres d’art exclusives, associant depuis ses débuts artisanat et technologie. « Assis à la terrasse d’un café, mon œil s’est arrêté sur ces chaises iconiques de Paris, aussi importantes dans l’imaginaire collectif que les bâtiments haussmanniens », raconte-t-il. Il a alors l’idée d’innover autour de ce patrimoine et fait rapidement le lien entre le tissage et le codage informatique, base de l’art génératif (forme d’art créée à l’aide d’algorithmes qui produisent des œuvres souvent imprévisibles), qu’il affectionne. Il demande alors au studio Aranda/Lasch, spécialistes du domaine, d’utiliser cette technique de tissage génératif pour créer par un algorithme, donc aléatoirement, une série de chaises sur mesure qui seront toutes différentes. « Enlace » était née, qui associe l’esthétique classique de Drucker et les artistes contemporains les plus pointus, ouvrant de belles perspectives d’avenir à cette drôle de dame joyeuse, pratique et tellement élégante, à faire naviguer entre son jardin et son salon selon les saisons…

Article paru dans le numéro 176 de Résidences Décoration.

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