Pour vivre dans la plus grande ville d’Oregon, comme dans un village, se déplacer uniquement à pied ou à vélo, fréquenter ses voisins, Jeanne Feldkamp, architecte d’intérieur, a construit sa villa au cœur de Portland.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Pablo Enriquez
Pas question, en s’installant à Portland dans l’Oregon de renoncer au mode de vie qui fut la leur pendant quinze ans à San Francisco. Une vie très sociale, un rien bohème, sans voiture pour ses déplacements quotidiens, une vie de quartier où on s’invite spontanément chez ses voisins, on boit un pot, dîne dans les bars et les restaurants à proximité, on s’approvisionne dans les magasins alentour. Fuyant les quartiers chics, à la périphérie de Portland, Jeanne et Dan souhaitent vivre dans l’hypercentre. Jeanne, qui plus est, en rendant visite à ses parents, a un coup de cœur, en lisant une annonce immobilière, pour une maison, mise en vente, signée par le cabinet d’architecture de Ben Waechter.
« Tout dans cette demeure, sauf son emplacement, me plaisait. J’aimais sa forme trapézoïdale, ses murs aux angles bien pensés pour jouer avec la lumière, ses grandes ouvertures, se souvient Jeanne. J’avais donc joint Ben, pour lui demander s’il accepterait de construire notre future résidence à Portland, lui expliquant que j’étais décoratrice. Son oui enthousiaste m’a encouragée à chercher au plus vite un terrain. » Coup de chance, ils dégottent quelques mois après un terrain constructible. « Ben, comme promis, nous a suivis et a dû relever plusieurs défis techniques. Poser par exemple des piliers en acier pour soutenir les panneaux de verre triple vitrage, penser une balustrade en béton pour préserver l’intimité des habitants, et des stores motorisés pour filtrer la lumière et protéger des regards indiscrets. »
Ces problèmes résolus, le gros œuvre achevé, Jeanne prend la relève pour décorer la maison de 400 m2, bâtie sur trois niveaux, en hauteur par rapport à la rue. Le jardin paysager, extension de l’espace de vie, participe aussi à la tranquillité des habitants. « J’ai collaboré avec Lauren Hall-Behrens de Lilyvilla Gardens pour que les plantes, les couleurs, les formes, se répondent à travers la vitre. Ainsi les chaises de la salle à manger facettées “matchent” avec le brasero en acier à facettes fait sur mesure. J’aime l’idée que l’ambiance, l’atmosphère de la maison, va évoluer en même temps que le jardin. Peu à peu les arbres grandissant projetteront leurs ombres et l’herbe haute ondulera au gré du vent. Le living, en rez-de-chaussée, fait le lien entre dehors et dedans, c’est pourquoi pensant à son devenir, j’ai voulu donner l’impression que les meubles flottaient, étaient en mouvement. En choisissant par exemple un canapé incurvé épousant les lignes d’un muret, en posant des panneaux de verre coulissants pour qu’en fonction de l’heure, de la lumière, la pièce change d’aspect. Et surtout j’ai, grâce à un cube recouvert de noyer, décentré de 10 degrés par rapport au sol, créé différents espaces à vivre. » Toute la maison s’organise autour de ce cube qui monte parfois jusqu’au plafond, tandis qu’à l’étage le palier distribue les pièces, les deux chambres-suites, l’atelier de Jeanne et le bureau de Dan. « Nous avons érigé cette maison dans le but qu’elle devienne notre résidence principale mais la pandémie a bousculé nos plans. Nous partageons notre temps entre Portland et la vallée de la Willamette, à une heure en voiture, où depuis 2018 nous produisons du vin que le Covid nous a contraints de commercialiser, ce qui n’était pas dans nos intentions. Depuis l’an dernier nous avons développé à Willamette un vrai business, avec bar, restaurant, salle de dégustation. J’aime encore davantage ma maison de Portland même si elle m’a donné du fil à retordre. Je voulais tellement que tout soit exceptionnel que je remettais tout en question, en permanence, ce que je ne fais jamais sur les projets de mes clients. J’ai ainsi passé des heures à observer la lumière se déplacer, pensant chaque objet, chaque meuble, changeant d’idée. Épuisant ! J’ai failli être victime du baby blues, d’une dépression post-partum. »

Tables, Matteo Zorzenoni et Yiannis Ghikas.











Jeanne Feldkamp, architecte d’intérieur

Jeanne Feldkamp est architecte d’intérieur et créatrice du studio de design Heirloom Modern Portland. Originaire de cette ville des États-Unis, elle est venue y revivre après quinze ans passés à San Francisco. Avec son mari Dan, elle a aussi développé un domaine viticole dans la vallée de la Willamette. Son style est lumineux et joyeux, et ses intérieurs, aux grandes baies vitrées et au large living, sont imaginés avant tout pour vivre entourés de ses proches, recevoir ses amis, sa famille.
Article paru dans le numéro 182 de RD – Résidences Décoration.




