À Venise, le Palazzo Cristo-San Marco rénové

Avant d’élire domicile à Paris, où il mourut, le compositeur Rossini habita en 1817, le Palazzo Cristo-San Marco, merveille du XVe siècle. Deux cents ans plus tard, Anna Covre et Frédéric Tubau de Cristo interprétèrent leur partition pour le restaurer.

Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Matthieu Salvaing

Et de deux ! Après avoir restauré, avec art, dans le quartier du Castello, le Palazzo Volpi, pépite du xive siècle, Anna et Frederic, couple d’architectes d’intérieur italo-français, tombé en amour de la sérénissime se lance, il y a sept ans, dans un projet beaucoup plus ambitieux : la rénovation d’un palais du xve siècle, un temps propriété de Gioachino Rossini. Un lieu exceptionnel, en triste état, s’élevant entre la place Saint-Marc et le pont du Rialto dont ne s’échappaient plus depuis très longtemps de notes de musique, d’éclats de voix et de rires. Une adresse prestigieuse dans le cœur stratégique et historique de la ville. Pas question pour le couple de se lancer seul, têtes baissées, dans ces travaux d’envergure. Avant de déclarer et d’attaquer le chantier, il prend langue avec les Beaux-Arts de Venise, consulte les artisans les plus talentueux et reconnus pour s’assurer leur concours. Il convainc avec des arguments chocs, ses interlocuteurs de l’urgence et de la nécessité de sauver et de redonner leurs fastes à ces bâtiments, de plus en plus souvent en grand péril. Il suffit de sillonner Venise en bateau et à pied, de canal en canal, pour trébucher d’émotion devant les façades délabrées, aux volets clos, et voir leurs fondations rongées par les eaux. Projet d’Anna et de Frederic : redresser vaille que vaille le palais en créant de grandes suites-appartements, réparties sur trois étages, dédiées tout ou partie à l’accueil et à l’hébergement de visiteurs. Un peu à l’image du Palazzo Papadopoli, ouvert en 2013 sous la bannière du groupe Aman, dont les propriétaires, le comte Arrivabene et son épouse Bianca d’Aoste, à bout de souffle, constataient la dégradation et l’enfoncement inéluctable dans les eaux, sans pouvoir y remédier faute de finances. Leur bien devenu cinq-étoiles a retrouvé fière allure. Et eux conservent leur patrimoine tout en vivant sur place, en famille, au dernier étage.

Assurés du concours des autorités et des meilleures entreprises, Anna et Frederic affûtent leurs crayons pour imaginer « une demeure chaleureuse, conçue dans un esprit “home away from home” » accueillant des familles, des groupes d’amis, des passionnés d’art souhaitant vivre à la vénitienne le temps de leur séjour entre les murs gardant l’empreinte secrète des envolées lyriques de Rossini. 

« Bénéficiant d’un des rares jardins sur le Grand Canal, nous avons pensé le Palazzo Cristo-San Marco à la manière d’un riad où les gondoliers sont invités, pour déposer les hôtes, à emprunter la porte dérobée, si caractéristique de ces demeures », confie Anna. Rien de figé, rien d’impossible au Palazzo Cristo-San Marco. Les six suites, ainsi que les deux chambres en rez-de-jardin et le duplex perché sur le rooftop sont modulables, privatisables, si besoin dans leur ensemble. « Nous avons imaginé ce lieu à la manière de scénographes pour qu’il réponde à toutes les envies, accordant une attention très particulière à la lumière, aux matériaux, les bois, la pierre, le marbre, et aux couleurs naturelles. Notre palazzo est une ode au luxe discret, sans extravagances, mariant héritage et modernité. Nous avons dessiné des objets, des pièces de mobilier qui cohabitent avec des éditions limitées, des étoffes tissées par les meilleurs tisserands de la lagune. Et nous avons veillé à ce que l’insonorisation intérieure soit parfaite tandis que le chant des gondoliers et le bruit de leur remo, rame unique, troublent parfois avec poésie la quiétude du jardin », souligne Anna. Les suites, baignées de lumière, se déploient sur trois niveaux et bénéficient toutes d’une double exposition. Le mobilier créé sur mesure par les décorateurs propriétaires, cohabite avec des éditions d’art, des matières naturelles, des étoffes façonnées, pour certaines, en exclusivité par les tisserands de la lagune. Et pour préserver l’intimité du palais, l’adresse demeure ultra-confidentielle et l’entrée quasiment cachée. 

AUX PREMIERES LOGES. Pour écouter Le Barbier de Séville, canapé « Serpentine » de Vladimir Kagan, pouf « Macaron » d’Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. Tables basses « Ninfea » en noyer et chêne, appliques « Cristo » en bronze et verre soufflé de Murano, les deux, design Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. © Matthieu Salvaing
DÉCHIFFRE DES GAMMES DANS LA LOGGIA. Dormeuse « Intervallum » de Maxalto, tissu Rubelli. Table Basse « Mesa » de T. H. Robsjohn-Gibbings. Guéridons « Brancusi » en noyer, vases et suspensions en verre soufflé de Murano, les deux Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. Murs en marbre, Bianco Venezia et Rosso di Verona. © Matthieu Salvaing
SOUPER APRÈS LA FENICE. Se remémorer les airs les plus beaux en dînant dans le salon-salle à manger.
Table en chêne design Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo, chaises velours, « Febo » de Maxalto. Sol en mosaïque de marbres sablés et brossés. Rideaux satin de coton Rubelli. © Matthieu Salvaing
FREDONNER GUILLAUME TELL. Cuisine sur mesure en chêne brossé teinté, applique « Sole » en acier chromé miroir, les deux Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. Sol en marbre de Carrare « Arabescato ». Tapis en soie créé sur mesure en Inde. © Matthieu Salvaing
RÊVER DE BEL CANTO. Bout de lit « Biscotto » base noyer, coussin tapissé Rubelli, design Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. Cheminée et consoles en marbre Cipollino Verde. © Matthieu Salvaing
SE PARER POUR PARAÎTRE. À Venise, on s’apprête pour un bal, un dîner, un spectacle. Le dressing est donc essentiel. Ici, en chêne brossé teinté moka avec tiroirs en chêne naturel brossé comme le parquet. Interrupteur « Canon de fusil » de Meljac. © Matthieu Salvaing
TRÉMOLOS DANS SON BAIN. Baignoire et robinetterie Devon & Devon. Portes coulissantes en chêne brossé teinté moka, papier japonais Shoji. Cadre intérieur, Black Limba laqué. Sol en marbre sablé et brossé Bianco Venezia. Rideaux en satin coton et lin, Rubelli. © Matthieu Salvaing
SE LAVER LES MAINS DES QUERELLES DE CLOCHER. Plateau et vasque en marbre de Carrare « Arabescato », piètement en chêne brossé teinté moka, tiroir en Black Limba laqué. Robinetterie Devon & Devon, appliques « Cristo » en bronze et verre soufflé de Murano, design Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo. Murs en travertin. © Matthieu Salvaing
RÉPÉTER À TUE-TÊTE EN SON JARDIN. Le plus de ce palais ! Sol en marbre sablé et brossé Bianco Venezia et Rosso di Verona. Enduit de façade, mélange de chaux et de brique pilée. Suspensions en verre soufflé de Murano, mobilier en teck, Tectona, vases d’Anduze. © Matthieu Salvaing

Anna Covre et Frederic Tubau de Cristo

© Matthieu Salvaing

Architecte d’intérieur, designer et photographe, après avoir exercé dans des agences de design global à Paris et Tokyo, Frederic ouvre son studio en 2008, avec Anna Covre, son épouse. Rapidement, le couple collabore avec des maisons de luxe ; Armani, Lancôme, Saint Laurent, Viktor & Rolf, Bottega Veneta. Puis se spécialise dans les projets hôteliers très innovants. Maîtrisant parfaitement le secteur du luxe et du design, ils pilotent chaque projet in extenso de l’aménagement à l’exploitation et ne travaillent que tous les deux, en s’associant pour les gros projets avec des fournisseurs et des artisans triés sur le volet. Et ils avouent leur chance et leur bonheur de vivre dans la ville qu’ils préfèrent au monde, Venise.

Pour séjourner, privatiser tout ou partie du palazzo : palazzocristo.com.

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