Scrutant de sa colline la mer Adriatique, le trullo Silvano, l’un des plus étonnants de Cisternino, a inspiré Nadiya Yamnych, artiste d’origine ukrainienne. La créatrice de Nùevù Studio l’a aménagé en respectant son esprit d’abri campagnard.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos « Ville in Italia »
Elles signent les paysages des Pouilles en Italie du Sud, ces drôles de constructions coniques blanches coiffées d’un toit pointu de pierres sèches. Ces « trulli » qui longtemps ne furent que des habitations spartiates, temporaires. Les ouvriers agricoles y vivaient la durée des travaux, des récoltes, dans les vignes lorsqu’on préparait les raisins et dans les oliveraies lorsqu’on cueillait les fruits et les pressait pour en tirer une huile verte, parfumée, légèrement piquante. Les hommes, le soir, partageaient l’espace compté avec leurs outils, leur chien voire un ou deux moutons.
Peu à peu abandonné, le phylloxéra ayant contaminé le vignoble et les ruraux s’étant motorisés, les trulli menaçaient de disparaître jusqu’à ce que – phénomène universel – dans les années 1980, les urbains et les néo-urbains tombent en pâmoison devant les charmes « si authentiques » de ces maisonnettes rustiques, ces abris de fortune, les achètent et, hélas bien souvent, les défigurent en les transformant en résidences dites secondaires.
Privilégier les matériaux naturels et durables dans ces remises qui abritaient jusque dans les années 1950 les ouvriers agricoles travaillant dans la vigne et les oliveraies.
D’aucuns, esthètes, s’en émurent, qui, comme Nadiya, décidèrent de tout entreprendre pour les préserver et sauver leur âme. « Quand Isabelle et Renato, les propriétaires, nous ont demandé de travailler sur leur trullo, Silvano, nous avons bondi de joie et accepté sans l’ombre d’une hésitation. » Difficile d’imaginer un environnement plus surprenant, plus envoûtant, que celui de cette bâtisse dans la vallée d’Itria, au sud de Murge, à l’ouest de Bari. « Un paysage de livre pour enfants, avec des forêts que l’on se représente peuplées de fées, de lutins, d’elfes, de sylphes, une forêt magique qui soudain s’éclaire et s’ouvre sur la mer Adriatique. Et, de-ci de-là, ces maisonnettes de pierre blanchies à la chaux dehors et dedans avec leur sol autrefois en terre battue ou en chianca, pierre naturelle, blanche et lisse. » Diagnostic posé, état des lieux dressé, les complices de Nùevù Studio entrent en action pour revenir à l’essentiel, épurer le bâtiment, traquer et éliminer le moindre matériau non naturel, plastique et dérivés.
« Au trullo Silvano, comme sur chacun de nos chantiers, la structure et l’espace d’origine compris, nous avons appliqué des techniques de construction anciennes et choisi des matériaux naturels, locaux, comme ceux utilisés il y a cent ans. L’incontournable “cocciopesto” appelé aussi “opus signinum”, enduit 100 % naturel à base de chaux, de brique pilée et de sable, très isolant, qu’affectionnaient déjà les Romains de l’Antiquité, a été notre sésame pour imperméabiliser les sols, enduire les murs mais aussi sculpter des vasques, des baignoires, des éviers. Écologique, recyclable à l’infini, esthétique, facile à poser, doux et sensuel au toucher, il a métamorphosé en un tournemain toutes les pièces, leur redonnant fière allure. Ici, comme bien souvent, parce que nous sommes perfectionnistes, nous avons voulu donner une patine, du relief au cocciopesto en le lustrant tantôt à l’huile de lin, tantôt à la cire ou tout simplement avec du savon noir. Et l’avons, à certains endroits, teinté avec des oxydes et des terres de différentes couleurs. C’est aussi simple que cela : s’approprier le savoir-faire des anciens. »
Se souvenir que dans les trulli le mobilier était spartiate, réduit à l’essentiel, une commode, une table, quelques chaises et des lits, sans nulle fioriture.
Pour ne pas gâcher l’harmonie des lieux, Nadiya Yamnych a suggéré de limiter le mobilier au strict nécessaire, des chaises, des tables, des lits, des étagères chinés ou créés sur mesure avec des matériaux recyclés. Quelques mètres de coton pour les rideaux, les couvre-lits et les banquettes. Des céramiques à la fois décoratives et utiles au quotidien : des pots, des cruches, des plats. Et en guise d’éclairage lorsque la nuit tombe, des luminaires solides, traditionnels. La simplicité du vrai !
Une fois l’intérieur remis aux normes, Nadiya Yamnych a veillé à ce que la pergola où, l’été, il fait bon flâner et dîner soit elle aussi coiffée naturellement avec des canisses et ceinte de murets de pierres sèches. À la limite de l’oliveraie, pour que la piscine se fonde dans le paysage et soit en harmonie avec le trullo, elle a choisi de carreler la margelle avec du chianca, pierre aussi douce que du talc aux pieds nus des baigneurs. Assurément, le trullo Silvano, comme par magie, ressemble de nouveau au repaire d’une gentille fée.
Sauver son âme : après avoir été mise à nu, chaque pièce du trullo a été repensée et redécorée à partir de techniques et enduits traditionnels.
Passer quelques jours dans ce trullo ou dans un autre pour découvrir les Pouilles et apprécier l’atmosphère si particulière de ces habitations, rien de plus facile : ses propriétaires comme nombre d’autres confient leur bien à la location à certaines périodes de l’année via Ville in Italia, fondée par Caterina Lancellotti et Luciano Fiaschi, amoureux du patrimoine de leur pays. villeinitalia.fr
Nadiya Yamnych
Nadiya anime Nùevù Studio, dans les Pouilles, avec Walter Trento, spécialiste de l’artisanat traditionnel et des techniques de construction anciennes, et Massimo Romanazzi, architecte passionné de graphisme, mais aussi de photo, de vidéo et de théâtre. Leur but premier : établir, sur chaque projet de réhabilitation, des passerelles, un dialogue entre la mémoire des lieux et l’envie de l’adapter à son style de vie. Artistes dans l’âme, hédonistes, les trois complices veillent à ce que chaque endroit, chaque objet du quotidien soit pratique, sensuel et beau à la fois.
Article paru dans le numéro 175 de Résidences Décoration.