Liz Lipkin, architecte d’intérieur, aime les vieilles maisons. Restaurer cette propriété de 1900, dans un quartier historique d’Hudson, à deux heures de New York, l’a plus qu’inspirée, transportée.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Sean Litchfield
Un bonheur pour Liz Lipkin… Lorsque les nouveaux propriétaires d’une bâtisse datant de 1900, au cœur du quartier historique d’Hudson, la contactent pour redonner à cette demeure de 140 m2 son cachet d’origine, l’architecte n’a pas caché sa joie. « Ce projet représente tout ce que j’aime : retrouver l’âme d’une maison, la faire renaître, en réparant les blessures souvent involontaires, infligées au fil du temps. Qui plus est dans ma région et pour un couple ayant la même sensibilité, la même approche que la mienne », s’enthousiasme Liz. L’épouse, originaire de San Francisco, et son mari irlandais se rappelaient leurs maisons d’enfance et de leur atmosphère si particulière. Des parquets qui craquent et effraient un peu, la nuit, lorsqu’on est petit. Des cadres accrochés de guingois, génération après génération. Des murs griffés, au papier peint défraîchi, aux plinthes écaillées. Des portes qui grincent… Leur description faisait écho aux propres souvenirs de Liz.
« J’ai usé et abusé du papier peint, qui donne vie à chaque pièce. J’ai choisi les teintes, les motifs de flore et de faune, en harmonie avec la nature environnante. »
Professeurs de philosophie à Houston, au Texas, les universitaires envisagent d’arrêter leur activité dans cinq ans pour s’installer définitivement à Hudson. En attendant, cette maison sera leur lieu de villégiature, leur respiration. Depuis des années, ils séjournent chez des amis dans cette belle campagne où coule le fleuve Hudson. Depuis des années, tombés amoureux de ce paysage vallonné, à deux heures seulement de New York, ils cherchent la résidence idéale où s’ancrer, changer de rythme, un endroit capable de séduire leurs quatre enfants adultes pour s’y retrouver tous, le plus souvent possible. D’emblée, en la visitant, cette maison mitoyenne leur a plu, et la rencontre avec Liz les a convaincus que leurs rêves allaient prendre forme. D’autant qu’un acte de propriété ancien mentionnait une ossature de bois italienne, invisible en l’état.
« J’ai souhaité que la nature pénètre dans la maison, l’embellisse, l’éclaire. Alors, sans nuire à son esthétique, j’ai osé agrandir quelques ouvertures. »
Première étape indispensable pour la décoratrice informée de l’existence de ce squelette, le révéler en retirant le revêtement métallique posé sur les façades pour les protéger. Changement de style immédiat ! La demeure décorsetée respire, guillerette. Le bois lui donne une allure victorienne, noble et champêtre à la fois. Une allure qui interpelle les voisins, loin de soupçonner ce que cachait ce bardage.
« Penser la chambre des parents très intime, douillette, rassurante. Comme un nid, un sas, où le toucher sensuel des textiles, les couleurs choisies, la literie, invitent au lâcher-prise. »
« Ce problème de revêtement extérieur réglé, mise en confiance par l’excitation joyeuse de mes clients, j’ai abordé la remise en état de toutes les pièces, par petites touches. Avec à l’esprit leurs consignes : imaginer un foyer chaleureux, accueillant, amusant, doté de beaux espaces, indépendants les uns des autres pour que les quatre enfants et leur famille en devenir trouvent vite leurs marques, leur territoire. » L’architecte met alors au jour tous les planchers de bois d’origine, les ponce puis les peint ou les cire selon les pièces. Elle définit ensuite, avec le couple, une palette de couleurs en harmonie avec la nature : des bruns, des beiges des crèmes, des bleus assourdis et des jaunes tamisés. Et suggère des papiers peints évoquant aussi les alentours : des oiseaux et feuillage ocre tendre dans la salle à manger, des fleurs sauvages rappelant celles qui poussent le long de la rivière pour la salle d’eau. « Je voulais que chaque pièce soit spéciale, unique », confie-t-elle.
« La salle de bains mérite d’être lumineuse, seyante, amusante. Pour que le matin le regard chiffonné trouve quelque réconfort, que le soir l’esprit et le corps fatigués se relaxent. »
Le décor installé, ensemble, ils s’en vont chiner le mobilier chez les antiquaires ayant pignon sur rue à Hudson. Ils dénichent des merveilles bien patinées, bien dans leur jus qui, une fois dans le living-room, les chambres, la cuisine et même les salles d’eau, semblent avoir été là depuis cent ans. Pour réveiller le tout, ils optent pour des meubles et des objets contemporains d’éditeurs américains et européens.
« Dans le salon et la bibliothèque, j’ai interprété une partition à dominante de noir et de brun où l’art tient une place de premier choix, en forme de trompe-l’œil. Sans aucune prétention ! »
La décoratrice s’attache également à peaufiner la lumière, en particulier au rez-de-chaussée et au premier étage, qui bénéficient d’une hauteur sous plafond vertigineuse, plus de trois mètres. Puis, toujours en concertation avec ses clients, la décision est prise de retirer des portes, d’abattre ou de déplacer des cloisons pour redistribuer l’espace, de penser de nouvelles pièces desservies par un couloir, d’oser de grandes baies vitrées, en veillant à ne pas nuire à l’esthétique. « J’ai su que j’étais sur le bon chemin, que j’avais répondu aux envies des uns et des autres lorsque, ma mission achevée, chacun a mis sa patte, s’est approprié les lieux. Madame en accrochant dans le salon les photos de paysage encadrées de noir héritées de son arrière-grand-mère et stockées en espérant trouver un jour leur place. Monsieur en posant sur son bureau un globe terrestre cadeau de son parrain. Un des enfants en apportant son baby-foot, l’autre ses peluches usées par les câlins. Alors, je me suis retirée sur la pointe des pieds les laissant entre eux, me promettant de revenir quelques mois plus tard pour m’assurer de leur bonheur. Ce que j’ai fait ! ».
Liz Lipkin
Originaire d’Hudson, Liz, après avoir obtenu un master de design mode au Pratt Institute, travaille une dizaine d’années dans des bureaux de style de vêtements pour femmes avant de succomber à sa vraie passion : la décoration. Elle se forme à la Parsons School et ouvre en 2016 son bureau d’architecte d’intérieur. Sa spécialité : les résidences privées, la rénovation des demeures anciennes. Son style : épuré, graphique, amusant, décalé. Ses couleurs : neutres. Son « TOC » : marier des textures, des imprimés, du design avec du vintage. Sa dernière réalisation : les locaux new-yorkais d’une maison d’édition californienne.
Article paru dans le numéro 174 de Résidences Décoration.