Réchauffer l’atmosphère en habillant les volumes d’une palette à l’élégance universelle… Voici un projet que ses architectes inscrivent dans l’air du temps, à l’aide d’un vocabulaire non genré, dans la ville catalane de tous les possibles, marquée par Gaudí.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû / Photos Víctor Hugo Antón @vicugostudio
C’est un loft ressemblant en tout point à une petite maison de ville : 115 mètres carrés coiffés d’une charmante terrasse de 80 mètres carrés parsemée de balconnières aux exubérantes plantes vertes en guise de jardin. Un appartement trendy mais sans prétention à Ripollet. Cette commune est un point de démarcation, quasiment une frontière, entre l’un des quartiers les plus populaires de Barcelone et le centre-ville historique, où fleurissent les beaux immeubles années 1920 dont certains sont signés d’Antoni Gaudí, le père de la fameuse Sagrada Família, son œuvre majeure toujours emmaillotée d’échafaudages. C’est dans cet endroit branché et bohème, où se côtoient bars aux notes musicales électriques, restaurants joyeux et bondés, boutiques de fringues vintage et ateliers de créateurs qu’un couple de professeurs trentenaires a dégotté un appartement mal fichu, tout en recoins, peu lumineux mais avec un toit susceptible de jouer les terrasses. Charmés par le lieu dont ils perçoivent le « potentiel » comme aiment à vanter les agences immobilières, et en accord parfait avec les jeunes propriétaires, Daniel Pérez et Felipe Araujo, du studio Egue y Seta, saisissent le projet à bras-le-corps, s’attachant les compétences complémentaires de cinq de leurs collaboratrices.
Leur principe de base : inonder l’appartement de couleurs qu’ils se refusent à classer sous les vocables masculin ou féminin. « Pourquoi, s’insurgent-ils, le rose serait-il féminin, réservé aux chambres des filles et au boudoir des dames? Pourquoi le bleu serait-il viril, parfait pour les salles de jeux, de télévision ou la douche de ces messieurs? L’essentiel est de déclencher une impression de chaleur, de bien-être, d’intimité, d’illuminer chaque pièce, non de sexuer les lieux », affirme le duo.
Après avoir restructuré l’espace pour bénéficier d’une grande pièce à vivre à la triple fonction, salon, salle à manger, cuisine, l’équipe d’Egue y Seta passe en revue les nuanciers Pantone, surfe tout à la fois sur les sites d’enseignes déco aux collections accessibles – Habitat, Zara Home, Maisons du Monde – mais aussi d’éditeurs à la démarche créative et contemporaine, qui font appel à de talentueux designers pour dessiner des lignes exclusives – Kettal, maison sise dans la région de Barcelone depuis les années 1960 en tête. Une fois leur cahier de tendances et leurs plans aboutis, les architectes dispatchent meubles, objets, teintes, en limitant le noir et le blanc. « Je suis toujours surpris, confie Daniel Pérez, que la plupart des personnes privilégient ces non-teintes, les relevant de minuscules touches de couleur. » Felipe Araujo et lui dénoncent la mode très contemporaine du « white cube ». Sus aux intérieurs immaculés, que le duo juge trop froids. Sans avoir à bousculer les occupants de ce loft, ils ont éclaboussé dès l’entrée les murs et le mobilier de teintes chaudes et naturelles. Ils ont même peint l’intérieur des portes, des armoires et des étagères, et, en terrasse, donné libre cours à leur délire chromatique avec de grands aplats terracotta relevés de touches jaune jonquille et kaki. « Quand nous surprenions un soupçon de doute, d’interrogation dans le regard de nos clients, nous les poussions gentiment en leur expliquant que leur home lumineux, vibrant et solaire comme un ciel d’été ou une soirée automnale rendrait certains de leurs amis verts de jalousie et, a contrario, ferait rosir de plaisir d’autres, ne laissant personne insensible, ce qui est l’essentiel. Un an après la pendaison de crémaillère, lorsque nous les recroisons, ils nous racontent, amusés, les réactions de leurs proches…telles que nous les avions prévues. »
EGUE Y SETA, BARCELONE
Daniel Pérez (à gauche) et Felipe Araujo (à droite) se sont rencontrés étudiants, à l’École supérieure de design ELISAVA de Barcelone. En 2007, ils ont fondé leur propre studio pour mettre leurs compétences de graphiste et d’architecte d’intérieur au service de particuliers appartenant à la classe moyenne et à des PME locales. Aujourd’hui, avec leur équipe d’une dizaine de personnes, à côté de ces projets immobiliers, ils ont développé un secteur dédié à la conception visuelle de sites Web, de packaging, de campagnes promotionnelles et de réalisations audiovisuelles.
Article paru dans le numéro 168 de Résidences Décoration.